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Eva en août (Jonas Trueba)

Contrairement à Delphine, l’héroïne du Rayon vert de Rohmer, l’Eva de Jonas Trueba (Itsaso Arana) décide en cet été 2018 de se fixer quelque part. Alors que la première ne cesse de changer de destination de vacances, la seconde reste à Madrid pendant la première quinzaine d’août. Installée dans un appartement prêté par un ami, Eva assistera aux fêtes populaires, aux célébrations de San Caetano, San Lorenzo et de la Vierge de Paloma. Le rapprochement entre Rohmer et Trueba est évident : les deux héroïnes solitaires cherchent quelque chose de l’ordre de l’épiphanie. Leurs quêtes invoquent le surnaturel, un mystérieux rayon vert pour l’une, la lune et les astres pour l’autre. Néanmoins, le film de Rohmer est dans mes souvenirs plus terre-à-terre, Delphine est une velléitaire cherchant dans la rencontre estivale un bonheur qui la fuit. Eva est cette virgen de agosto (titre original), cette vierge d’août décidée à enfanter quelque chose.

D’après Eva, l’été serait ce moment propice à la perfection, permettant d’accomplir des choses dont on est incapable le reste du temps. On peut se reposer, lire, réfléchir, découvrir des endroits mais surtout se lier à d’autres êtres. Alors que la chaleur diurne écrase la ville, les déambulations de la jeune trentenaire la portent d’une rencontre à l’autre. L’espace limité du centre de Madrid favorise les hasards et les amitiés de circonstance. Dans une atmosphère nimbée de douceur mélancolique et de sensualité, on se croise comme par magie. Luis, Olka, Sofïa, Joe, Simon, Maria, Agos. Hommes et femmes, amitiés anciennes ou récentes, interrogent Eva sur sa vie et sur ce qu’elle souhaite en faire. Le carton du début le dit : Eva est portée par une forme de foi, elle croit résolument qu’il va se passer quelque chose pour elle entre le 1er et le 15 août. Dans cette conjonction souvent heureuse d’événements et d’interactions humaines, il se joue comme un alignement des astres et des éléments cosmiques qui participent de la beauté poétique du film.

Jonas Trueba et Itsaso Arana ont créé en Eva un personnage sensible, contrasté et émouvant. Le cinéaste ne cesse de la filmer dans sa singularité troublante tout en évitant les facilités. Femme pudique (la scène de la rivière), au teint pâle mais dont les habits rouges illustrent la sensualité diffuse, elle ne sera jamais filmée comme un objet érotique ou un fantasme estival. Il la saisit souvent des trois quarts comme une madone de peinture classique, avec un sens esthétique évident. On retient notamment ce plan d’elle dans l’appartement, assise les yeux fermés tandis que la lumière diffractée par les arbres frémit sur son corps. Sur le visage de l’actrice se dessine une large palette de sentiments, de la tristesse soudaine à l’enchantement quand advient quelque chose. On entend sa voix intérieure qui dit la souffrance d’être une femme inaccomplie, se demandant comment devenir une « vraie personne ». C’est une trentenaire sans logement ni vocation fixe, mais pas détachée de sa génération. Tous ceux qu’elle croise ont l’air de se poser des questions similaires, autour de l’identité et du bonheur individuel.

L’originalité de ce personnage qui se cherche est de provoquer sans cesse la chance de trouver quelque chose. Contrairement à la Delphine de Rohmer, ballottée par les événements et ses propres évitements, Eva n’a pas peur des gens. Elle surmonte la solitude et la mélancolie avec audace. Chaque amitié constitue une opportunité de remise en question et d’avancée. Progressant jour après jour, le film oppose à l’apparent flottement des événements un cheminement intérieur très net. On nous le fait deviner mais Eva semble de plus en plus sûre de la conclusion de ses vacances, celle de se constituer justement en une « vraie personne ».

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