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Cinéclub : Le professeur (Valerio Zurlini)

Jamais Rimini, station balnéaire sur l’Adriatique, n’a paru si triste. Est-ce là que les italiens vont bronzer tous les étés ? Les premières images sont mornes et venteuses, la mer est agitée, les feux de l’été sont loin quand le professeur Daniele Dominici (Alain Delon) arrive en ville. Certes il n’y a pas le vide des perspectives et le temps qui se dilate comme chez Antonioni mais l’atmosphère est proche, chargée de lassitude et d’ennui. Dominici prend son poste d’enseignant en littérature pour quelques mois dans un lycée, sans entrain ni envie. Il pourrait de désintéresser de son métier s’il n’y avait dans sa classe Vanina (Sonia Petrovna), dont il ressent le désarroi et la sensibilité blessée.

Le professeur (1972) est à la fois un film d’atmosphère, mélancolique le plus souvent, et de peinture sociale sans concession. Dominici aime le jeu et la poésie. Il se trouve rapidement des compagnons parmi la classe des nouveaux riches du coin. Ces gens aiment jouer et flamber mais n’ont rien de poétique ni d’admirable. Plusieurs séquences nocturnes permettent à Zurlini de filmer froidement, en plans fixes ou par de lents mouvements de caméra une classe de parvenus et de jouisseurs désabusés. Daniele, qu’ils appellent Professeur, flotte parmi eux et observe sans juger leur goût pour le sexe et l’argent. Il y a Spider (Giancarlo Giannini) qui s’abîme dans la fête, Marcello (Renato Salvatori) qui fait des affaires dans l’immobilier et Gerardo Pavani (Adalberto Maria Merli), affairiste playboy qui sort avec Vanina et semble la maltraiter. Zurlini les décrit à travers le regard désabusé de Dominici. On ne sent pas de mépris de classe entre eux, comme s’ils appartenaient pratiquement au même monde, celui d’une société fatiguée et cynique. Rimini est une station balnéaire joyeuse l’été, elle semble assommée par la gueule de bois à l’arrivée de l’automne.

Qui est Dominici finalement ? Delon compose assez admirablement un homme défait, dont le passé se révèle à petites touches, gardant ses mystères jusqu’à la conclusion. Il connaît des vers et des citations (Goethe, Manzoni, Pétrarque) et le patrimoine de la région ne lui est pas inconnu. Il a tout d’un homme déchu, nostalgique à travers l’Art des traces du passé (de son passé ?). Quand apparaît Vanina dont le visage sublime de Sonia Petrovna dit l’immense tristesse, on se demande si son attirance n’est pas d’abord esthétique, comme si la jeune femme le ramenait à un idéal révolu. Elle s’appelle après tout comme la princesse de la nouvelle de Stendhal : Vanina Vanini ! Il l’emmène se promener et par un surprenant effet de montage lui montre soudain La madone del parto de Piero della Francesca. Le visage de la femme aimée révèle toute la beauté à laquelle un homme peut aspirer. Alors qu’il forme un couple désabusé avec Monica (Lea Massari), Vanina est pour ce parieur et amoureux du jeu comme une carte à jouer pour sortir du malheur et retrouver la vie qui le fuit. Daniele est un personnage hanté par la mort, on découvre petit à petit pourquoi. Tout en révélant le passé troublé de la jeune femme, la fin viendra révéler celui de cet homme qui autrefois écrivit un recueil de poèmes pour une autre, depuis disparue.

On ne compte plus les films produits par Delon dans les années 70. Si tous ne sont pas ratés mais certains pas loin (Armaguedon, Le gitan, Borsalino…), ils sont souvent saturés de mines poseuses où la star fait admirer ses yeux cristallins. Le professeur n’est pas une production Delon et Zurlini s’est attaché à ne jamais magnifier son acteur. Son visage est mal rasé, ses yeux sont cernés. Sa dégaine est lasse, son corps est voûté. Il porte tout le film un vieux pull olive et le même manteau beige qui le distingue de ses « amis » fêtards. Ses atours tristes accentuent son intériorité tourmentée. Visiblement bien dirigé, il offre par ses regards et son jeu sobre une profondeur qu’on ne lui a pas toujours vue dans sa carrière.

Le réalisateur a créé une atmosphère mélancolique et captivante. Peut-être aurait-il pu approfondir certains aspects de son scénario, comme cette passion du jeu qui endette Daniele ou les liens qui l’attachent à Monica. Mais c’est un beau film, une perle de plus du cinéma italien d’autrefois, si riche et varié. Je ne connais pas toute la filmographie de Valerio Zurlini mais en plus de La fille à la valise (célèbre, avec Claudia Cardinale), ne manquez pas Eté violent (1959), mélodrame brûlant et glacé à la fois, avec Jean-Louis Trintignant et Eleonora Rossi-Drago !

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