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Cinéclub : Le Septième Juré (Georges Lautner)

Il m’est difficile d’avoir un avis tranché sur la filmographie de Georges Lautner. Ayant consommé du Bebel dans mes jeunes années, je lui dois de divertissants mais peu grandioses moments de cinéma sur petit écran : Le professionnel, Le guignolo ou Flic ou voyou ! Joss-Belmondo de retour du Malagawi (!!!), affrontant l’affreux Rosen-Robert Hossein sur fond de Chi mai d’Ennio Morricone (la musique de la publicité Royal Canin), c’était du ciné virile et efficace mais pas très subtile. Lautner est un cinéaste populaire à qui on doit les audiarderies « cultes » Tontons flingueurs, Barbouzes ou Ne nous fâchons pas - que je n’aime pas beaucoup. On pourrait citer aussi tous ces films avec Mireille Darc en vedette (Laisse aller… c’est une valse !, La grande sauterelle…) ou la série des Monocle. Dans cette filmographie populaire, je retiens deux vrais bons films découverts récemment : Mort d’un pourri (1977) avec Alain Delon et Le Septième juré (1962) avec Bernard Blier.

La première séquence sur le Lac de Saint-Point près de Pontarlier est impressionnante et démontre les qualités de filmeur de Lautner. Il fait chaud, le lac est paisible. Un homme fait de la barque, un jeune couple bronze au bord de l’eau. Le fond sonore est celui des Quatre saisons de Vivaldi, la séquence monte en crescendo en même temps que le Concerto de l’Eté. Un homme sans histoire, Grégoire Duval (Bernard Blier), étrangle une jeune femme dénudée. Le montage, la lumière, l’érotisme des images traduisent le vertige meurtrier de Duval, la séquence est quasi abstraite. La jeune femme était avec son amant quelques minutes auparavant, c’est donc celui-ci, Sautral (Jacques Riberolles) qui sera accusé du meurtre. Pourquoi Duval a-t-il tué ? Sa voix en off et les nombreux gros plans sur son visage révèlent ses tourments. Nous avons affaire à un homme faible et désenchanté, frustré par l’existence. A Pontarlier, il n’est pourtant pas n’importe qui : c’est un pharmacien installé, un notable respecté. Son épouse jouée par Danièle Delorme a de l’ambition pour deux. Il a tout pour être heureux et ne pas se poser de questions.

La voix off pesante de Duval, c’est le cri intérieur d’un homme contre une société sclérosée qui l’emprisonne. En son for intérieur, Duval fait le procès de son propre milieu, celui des notables de province. C’est la génération gaulliste, qui a connu la guerre et qui tient le pays. Même si les séquences de prétoire ne constituent qu’une partie restreinte du film, Le Septième Juré est du début à la fin une charge contre la société française du début des années 60. Commerçants, magistrats, policiers, ces hommes établis ont trouvé en Sautral le coupable parfait. L’instabilité et la liberté de mœurs du jeune homme sont des preuves suffisantes qu’il faut le condamner. La victime, une femme facile, les intéresse assez peu, ils voient la jeunesse et la liberté d’un mauvais œil. Tel Francis Blanche en procureur expéditif ou Maurice Biraud en vétérinaire désabusé, de très bons acteurs jouent ici de parfaits imbéciles ou de parfaits cyniques.

Lautner a 36 ans au moment du film, Bernard Blier en a dix de plus. Ils ne font pas partie de la génération de la Nouvelle Vague mais la tonalité désespérée du Septième Juré fait écho à celle de certains films plus modernes et plus jeunes comme ceux de Louis Malle (Le feu-follet) ou de Claude Chabrol (Les cousins, Le beau Serge). On se souvient surtout du très beau La tête contre les murs (1959) de Georges Franju, montrant un jeune homme enfermé à l’asile par son propre père. Les vieux sont paniqués par la liberté des jeunes générations, qu’ils rêvent d’enfermer. Mais le désenchantement de la jeunesse, le regret d’une liberté évanouie ont contaminé jusqu’aux bourgeois repus comme Duval. On est surpris par le dégoût exprimé par tous les personnages lucides du film. On est surpris aussi par la liberté de ton de certaines scènes, comme lorsque Duval emmène son fils dans la boîte que fréquentaient Sautral et sa maîtresse. On a tellement pris l’habitude de voir Bernard Blier en grand patron, en commissaire ou en truand autoritaire qu’on s’émeut soudain de la fragilité et de la pusillanimité dont il fait preuve. L’excellence de son interprétation fait oublier les lourdes « performances » façon Audiard. S’il s’avoue coupable, le pharmacien détruira l’ordre social auquel son épouse et ses semblables sont attachés. Ils ne peuvent y consentir.

L’ambition formelle et l’audace de certains procédés surprendront en bien les contempteurs du réalisateur du Guignolo ou de La Cage aux folles 3. Voici donc une réelle pépite dans une filmographie par ailleurs très rentable.

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