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Histoire d’un regard (Mariana Otero)

La vie du photoreporter Gilles Caron, interrompue à seulement 30 ans, avait de quoi nourrir un passionnant biopic. On l’a vu récemment avec Sympathie pour le diable consacré à Paul Marchand : le reporter de guerre fait d’excellents personnages romanesques et ambigus. Ils sont toujours acteurs des conflits qu’ils couvrent, autant horrifiés par ce qu’ils voient que stimulés par l’adrénaline de l’action. Gilles Caron, photographe à l’agence Gamma, a connu en peu de temps la Guerre des Six jours, le Biafra, le Vietnam et la guerre civile en Irlande et au Tchad. Il a aussi couvert Mai 68 à Paris et de nombreux événements mondains et politiques qui constituaient le quotidien de son métier.

La singularité de son parcours se retrouve dans sa fin : il a disparu en 1970 au Cambodge sans laisser de trace, comme happé par un trou noir, laissant une femme et deux filles qui ont dû grandir sans lui. Paradoxe d’un homme qui a produit dans sa carrière plus de 100,000 photos : on ne sait strictement rien de ce qui lui est arrivé, aucune image ne dit ce qu’il est devenu. La réalisatrice de documentaire Mariana Otero s’est sentie un traumatisme commun avec les filles de Caron. Sa mère Clotilde Vautier, née comme Caron en 1939 est morte prématurément. Elle était artiste peintre et aurait pu connaître et accomplir beaucoup. Caron lui avait le talent et la sensibilité « pour faire du cinéma » se plaît-elle à penser en fin de film. Il couvrait des événements mais n’était pas un simple « mitrailleur ». Outre la qualité technique reconnue de ses prises, elle démontre dans son documentaire le caractère exceptionnel de son regard.

Le dispositif du documentaire est simple, sobre et pudique. Otero commente en voix off sans se mettre en avant et chaque rouleau significatif du travail de Caron s’accompagne d’un éclairage précis, visant à restituer la qualité du travail du photographe tout autant que l’empreinte sensible de l’homme, avec délicatesse et sans effet d’édification du spectateur. Pour analyser les rouleaux de la guerre des Six Jours, elle invite un historien du conflit israélo-palestinien. La guerre du Vietnam donne lieu à une analogie très émouvante avec celle d’Algérie, que Caron a bien connue. Hors les très nombreuses photographies, les moyens déployés sont modestes (quelques lettres personnelles, sa voix enregistrée, quelques interviews de personnes photographiées) et se veulent conformes au caractère de Caron. Il n’était pas homme à se vanter ou à alimenter un mythe. Sa présence, révélée par une interview et un bref passage télévisuel nous montrent un homme réservé, sensible et soucieux des faits.

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En fait, l’essentiel se retrouve dans les photographies, la plupart sont extraordinaires et ont fait l’Histoire. Ainsi, l’histoire d’un regard de reporter peut être vertigineuse. C’est une histoire en plusieurs dimensions qui résume en quelques images : le caractère exceptionnel de l’événement regardé, la singularité des individus qui y participent et la démarche et la sensibilité uniques du témoin qui regarde. Quand on analyse la séquence de convocation de Cohn-Bendit à la Sorbonne ou celle de la prise du Mur des Lamentations par les troupes israéliennes, on comprend ce qui aboutit à une photographie exceptionnelle qui fera la une des journaux: l’intelligence profonde des enjeux et des hommes, l’adaptation constante aux aléas de l’événement.

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Dans les 100,000 photographies de Caron, il y a autant les tragédies collectives de son époque qu’une histoire intime qui parle à autrui, nous rappelle Otero. Elle a mis dans l’évocation de ce destin une part de son histoire, réparant ainsi une absence impossible à combler. Un documentaire émouvant, instructif aussi d’un âge d’or, celui du photojournalisme.

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