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Cinéclub : Reservoir dogs (Quentin Tarantino)

Reservoir dogs (1992) est connu par le grand public comme le premier long métrage de Quentin Tarantino alors qu’il en avait déjà réalisé un en 1987 : My best friend’s birthday. Rien à dire sur ce dernier,  je ne l’ai jamais vu. Mal noté sur IMDB, il est considéré comme un film « for fan only », à tort ou à raison. Après Pulp fiction qui je trouve a très bien vieilli, j’avais très envie de Reservoir dogs. Les films « culte », j’aime bien laisser passer quelques années avant de les revoir. S’ils sont bons ils vous révèlent de nouvelles choses enfouies en eux.

On a tendance à dire qu’un premier film renferme toutes les obsessions et les aspirations de son auteur, je fais le pari que Reservoir dogs tient ce rôle dans la filmographie de Tarantino. L’obsession cinéphile est indéniable : c’est un film de braquage et ce genre a produit quantités d’œuvres mémorables. La liste, même limitée à des films anciens, est fabuleuse : Asphalt jungle (Huston), The Killing (Kubrick), Les inconnus dans la ville (Fleischer), Du rififi chez les hommes (Dassin), Bob le flambeur et Le cercle rouge (Melville), Le canardeur (Cimino), Le pigeon (Monicelli)… Il s’agit pour Tarantino de s’inscrire dans une tradition qu’il semble révérer, tout en la dépassant. D’ailleurs, le hold-up c’est le cinéma mais aussi la littérature de série noire qu’il n’oublie pas: Edward Bunker qui incarne Mr Blue est un ancien taulard reconverti en très bon écrivain (lire La bête contre les murs et Aucune bête aussi féroce).

On retrouve dans son film des constantes du genre : le portrait d’un groupe d’hommes, la mythologie et les codes des bandits, la préparation du casse, les antagonismes générationnels (chiens fous contre vieux briscards). Tarantino a construit son film comme une suite de confrontations viriles, très dialoguées, fragmentée en un puzzle narratif troué de flashbacks. Le dialogue est grossier, brutal. Il n’y a pas de femmes et ces hommes violents plaisantent constamment sur le fait de se faire enculer, effleurant par leurs bravades une complicité homosexuelle évidente. Malgré Pam Grier ou Uma Thurman, le cinéma de Tarantino se déploie dans un univers masculin violent et retors, il faut souffrir pour s’y imposer. Tarantino célèbre une forme de complicité qui semble n’appartenir qu’aux hommes, faite de violence, de blagues crues et de références à la culture populaire. Le politiquement correct contemporain n’est visiblement pas sa tasse de thé tant le dialogue est exacervé dans le registre macho et raciste.

Balançant entre revisite des années 50-70 et formes plus contemporaines, le cinéaste impressionne par sa maîtrise et son innovation. Utilisant à merveille le grand angle et les lents travellings, refusant les banals champs-contrechamps, il filme son entrepôt comme une arène, avec la maîtrise d’un réalisateur éprouvé. Il joue sur la nostalgie des années 70, utilisant une bande-son vintage (Coconut d’Harry Nilsson, Stuck in the middle with you de Stealers Wheel) mais son dialogue est truffé de références à son époque (Madonna). Il semble avoir digéré le polar hongkongais des années 80 : comme dans les films de John Woo ou Ringo Lam la violence est exagérée, les situations sont outrées.

Sa principale trouvaille est d’avoir occulté le braquage en lui-même. On ne verra rien du holdup raté de la bijouterie. Les bandits devaient se retrouver dans un entrepôt après. Tout s’est mal passé, ils arrivent en ordre dispersé et les survivants se demandent qui les a donnés à la police. Reservoir dogs est un huis clos tragique confrontant des hommes trahis. Fallait-il mettre en scène le braquage alors que dans tous les grands films du genre, il finit par échouer même quand il est minutieusement préparé ? Ce n’est pas l’action mais le motif de la trahison qui intéresse le cinéaste. Tarantino, outsider du cinéma venu du vidéoclub, s’est-il vu comme un traître ou comme un infiltré dans le cinéma hollywoodien? Sans doute. Quand il impose son cinéma en 1992, il détonne par ses références et son style. Il aime Godard, le western italien et le cinéma de Hong-Kong. Le polar n’était plus du tout à la mode depuis les années 80, remplacé par le film d’action désormais en déclin. Son film le révèle comme un héritier virtuose des grands anciens mais « tuant le père » avec son style débraillé, fragmenté et bavard. Il se révèle aussi comme un grand directeur d’acteurs : Tim Roth, Harvey Keitel, Steve Buscemi, Lawrence Tierney, Chris Penn, Michael Madsen sont fantastiques !

Les souvenirs superficiels de Reservoir dogs sont souvent faits d’une grosse dose de Michael Madsen. On se souvient de cette scène écœurante dans laquelle Mr Blonde s’adonne à la torture. Madsen fait un psychopathe convaincant. Mais en revoyant le film, on trouve quelque chose de bien plus intéressant : la relation père-fils entre Mr White (Keitel) et Mr Orange (Roth). La boucle narrative du braquage débute et termine avec ces deux hommes. Ils ont fui tous les deux, arrivent en premier et le plus vieux se demande comment sauver le plus jeune, blessé au ventre par une balle. Le cinéma de Tarantino se regarde comme référencé et post-moderne, il n’est jamais cité comme un auteur émouvant. Pourtant, cette relation douloureuse et finalement contrariée, s’achevant par les lamentations de Keitel est sans doute ce qu’il y a de plus touchant dans son œuvre. Je n’y ai pas vu de second degré mais une réelle sincérité. Dans ce Mr Orange, faux malfrat et vrai flic infiltré qui à force d’apprendre un rôle devient plus vrai que nature, il y a sans doute beaucoup du réalisateur, bluffeur, téméraire et sûr de lui.

Reservoir dogs donne toujours autant de plaisir, en moins d’1H40 alors que les films suivants auront tendance à faire du gras. Avec son braquage raté, on peut dire que Tarantino a réussi son braquage d’Hollywood. En 1992, apparaissait donc un nouveau cinéaste talentueux, à la fois respectueux et émancipé des vieux codes.

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