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Cinéclub : The intruder (Roger Corman)

Roger Corman est souvent cité quand il s’agit d’évoquer le renouveau du cinéma américain dans les années 50-60. Environ 50 films réalisés, 400 films produits. Son nom est synonyme de séries B fauchées, efficaces et inventives : on pense à Mitraillette Kelly, La chute de la maison Usher ou à La petite boutique des horreurs qui a révélé Jack Nicholson. De grands noms sont passés par « l’école Corman » : Bruce Dern, Peter Fonda, Denis Hopper, Francis Ford Coppola (Dementia 13), Martin Scorsese (Bertha Boxcar) ou Jonathan Demme. On peut dire qu’il a contribué à l’émergence des talents de ce qu’on a appelé « Nouvel Hollywood ».

Arte TV permet de découvrir une de ses réalisations, l’excellent The Intruder (1962), dont le récit se déroule dans le Sud des Etats-Unis. Ce qui arrive à la petite ville de Caxton arrive dans toutes les petites villes similaires au début des années 60: la déségrégation raciale amène l’intégration des élèves noirs dans les écoles « blanches ». La colère monte contre ce qui défie le racisme ordinaire et les habitudes bien ancrées chez les petites gens. Il est connu que chaque mouvement de progrès dans une société produit son retour de bâton idéologique et des tentatives de retour en arrière. The Intruder en est une illustration réussie et subtile. Quand le mystérieux Adam Cramer (William Shatner) arrive à Caxton pour « suivre l’intégration des élèves noirs » à la rentrée scolaire, on comprend en très peu de scènes que la population blanche est contre ce changement. En revanche, on ne sait pas tout de suite ce qu’en pense cet homme jeune, charmant et beau parleur. Bien que quelques individus semblent prêts au changement, le terrain est en tout cas propice à une réaction raciste.

L’attrait de The intruder réside d’abord dans la netteté de la réalisation de Corman. Le film dure 1H20, progressant sans temps mort. L’action est censée durer deux semaines mais le dynamisme du découpage et les ellipses génèrent une accélération narrative, comme si l’histoire durait 48 heures. On ne sait pas très bien combien de temps ça dure d’ailleurs. L’arrivée de Cramer équivaut à une allumette sur une mèche courte. Elle coïncide avec le début d’intégration des élèves noirs au lycée du coin. Soudain chaque citoyen blanc est interrogé sur sa position : de quel côté suis-je ? Suis-je prêt au changement ou au contraire veux-je que tout reste comme avant ? Il y a deux dynamiques parallèles dans le récit. L’une dévoilant le personnage de Cramer : quel est son objectif ? Que cherche-t-il à créer ? L’autre délimitant le « camps blanc » avec les personnages antagonistes de Shipman (Robert Emhardt) et de McDaniel (Frank Maxwell). Corman a l’art de décrire en courtes scènes dialoguées ce petit peuple soudain remis en cause et désorienté par un changement de société.

Sur le thème de la déségrégation dans le Sud profond, on se souvient de Mississipi Burning d’Alan Parker. Malgré Gene Hackman et Willem Dafoe, ce film efficace est particulièrement caricatural quand il s’agit de décrire les gens du sud : les racistes ont tous des sales gueules et passent pour des dégénérés. Ce n’est pas le cas dans The Intruder. Le film de Corman ne sous-estime pas la violence et le racisme intériorisé des blancs du Sud mais il ne cherche pas à les caricaturer ou à les animaliser. Le personnage de McDaniel démontre qu’il n’est pas si facile de s’extraire de plusieurs siècles de pratiques infâmes. La tentation du meurtre contre les noirs est ancrée et omniprésente et des personnages comme Adam Cramer savent très bien l’exploiter.

Membre d’une honorable « Patrick Henry Society » (Patrick Henry : révolutionnaire américain ayant milité pour la suppression de l’esclavage), cet homme vêtu de blanc, particulièrement séduisant est ce fameux intrus (intruder) qui vient souffler sur les braises. En retardant le moment de révéler les convictions de ce personnage, Corman et son scénariste Charles Beaumont (qui a un petit rôle dans le film) traduisent le pouvoir de séduction des nouveaux démagogues pullulant en cette époque de changement. Bien qu’elles aient de « beaux » restes, les pratiques racistes ont changé. Fini le lynchage et les appels au meurtre, il s’agit d’exclure les noirs tout en restant dans le cadre de la loi. William Shatner interprète Cramer en y mettant la parfaite dose de séduction et de venin. Il pense contrôler les choses mais il reste un intrus, perdant prise sur les gens du coin. Le film est ainsi une dénonciation vigoureuse de la haine grégaire, si prompte à ressurgir malgré les évolutions sociales.

The Intruder est un film habilement écrit, réalisé et interprété. Notons qu'à cause de son sujet politique, son tournage dans le Missouri a suscité la colère des habitants du coin et que sa diffusion à sa sortie a été entravée. La qualité de la réalisation saute en tout cas aux yeux pour un cinéaste dont les mémoires françaises s’intitulent Comment j’ai fait cent films sans jamais perdre un centime !

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