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Ma vidéothèque idéale : Sunset Boulevard (Billy Wilder)

Ce classique hollywoodien de Billy Wilder a 70 ans et il se porte comme un charme. C’est la troisième fois que je le vois en quelques années et je le trouve meilleur à chaque vision. C’est comme si ce récit sur le vieillissement et l’avilissement n’avait jamais subi les ravages du temps. Il en est pourtant question dans ce film tourné à Hollywood, mecque du cinéma et éternelle capitale de la jeunesse et du succès. Les premiers plans nous montrent un homme mort flottant dans une piscine. Joe Gillis (William Holden) est le narrateur de sa propre déchéance et Sunset Boulevard un flashback d’1H40 sur son destin tragique.

C’est en voulant échapper à ses créanciers que Gillis aboutit dans la villa somptueuse de Norma Desmond. Desmond est une star déchue et oubliée du cinéma muet. Le flashback est justifié : au sens figuré Sunset Boulevard est un retour vers le passé. En rencontrant Desmond, Gillis est transporté dans un autre espace-temps. Sollicité pour un scénario médiocre puis entretenu par la star, il se retrouve coincé dans une villa somptueuse et vétuste. Il devient l’amant d’une femme figée dans sa gloire, désespérée de ne plus être appelée par les studios. Débutant avec la mort de son héros, Sunset Boulevard est un film de mort-vivants, un Famille Addams avant l’heure, version âge d’or hollywoodien. Vêtue de noir, le visage grimaçant et creusé, Desmond est une créature effrayante jouée avec outrance par Gloria Swanson. Rappelons que Swanson était une des plus grandes stars du cinéma muet hollywoodien. Le légendaire Erich Von Stroheim à ses côtés, grand réalisateur du muet, interprète un majordome protecteur et inquiétant. Le tableau des fantômes du passé est complété par les amis de Desmond venant jouer au bridge, vieilles gloires comme Buster Keaton !

Troublant et morbide

Par de lents panoramiques, Wilder parcourt un monde autrefois grandiose. Il nous fait visiter des ruines antiques et tel un guide arrête le regard du visiteur sur un détail troublant ou morbide: les innombrables portraits de Desmond, les portes sans serrure, les rats dans la piscine abandonnée, le chimpanzé gisant. Les plans larges et les gros plans sur le visage de la star sont comme des réminiscences du cinéma muet, à la fois nostalgiques et cruelles. « Je suis une grande, ce sont les films qui sont devenus petits ! » s’écrie Desmond. Il est vrai que sa villa somptueuse, soudain filmée en plan large lorsque Gillis y pénètre, fait penser à un décor de mélodrame des années 20. Son visage parfois saisi en gros plan, a gardé l’expressivité des œuvres du muet. Ce qui était autrefois glamour et fascinant est devenu ridicule et désuet. Tout en faisant le portrait lucide d’un monde décati, quasi englouti, Wilder ne s’enferme pourtant jamais dans la caricature. Son récit est fin et plein de ruptures de ton inattendues : la séquence du chimpanzé, l’histoire de la limousine, la rencontre avec Cecil B DeMille, la relation entre Gillis et Betty Schaefer (Nancy Olson).

C’est en faisant sortir Gillis de sa prison dorée que le film trouve son dynamisme narratif : le vieil Hollywood extravagant dialogue avec le Hollywood contemporain, réinventé grâce au Technicolor et à des histoires plus terre-à-terre. Le personnage de Desmond est effrayant mais celui du jeune scénariste est-il plus enviable ? Non, un malheur égal associe les deux êtres. Norma souffre d’être sortie d’Hollywood, Gillis souffre de ne pas y entrer. Le système est aussi cruel pour les vieilles gloires que pour les aspirants au succès. De surcroît, le jeune homme s’est avili, a perdu son innocence. Il ne peut trouver sa rédemption auprès de Betty, ambitieuse et pleine d’espoir comme il l’était avant. La mort physique du début se double du deuil des espoirs. Le même processus mortifère entraîne le héros et la star déchue, le système se régénère en dévorant ses propres créatures. Si Cecil B. DeMille, jouant son propre rôle ici, a pu survivre et faire figure de sage plein de compassion, c’est parce qu’il est encore un bon exécutant s’adaptant aux contraintes du système.

Femmes détruites par Hollywood

Le scénario du film n’a pas créé de personnage de jeune star pouvant faire contraste avec celui de Desmond. Etait-ce nécessaire ? Sans doute que non, dans ce système impitoyable, les stars, surtout les femmes, sont des produits jetables. Gloria Swanson ne tourne plus que 3 fois entre 1933 et Sunset Boulevard. Sans doute a-t-elle vécu la douleur d’être has-been comme Mae West, Mary Pickford ou Pola Negri à qui le film a été proposé. Sunset Boulevard est l’impitoyable constat d’une condition féminine détruite par le système hollywoodien. Solitude, dépression, névrose, haine du vieillissement et de soi: ce que subit Norma nous rappelle les destins de Judy Garland, Marilyn Monroe et de toutes ces grandes actrices à qui on a fait le reproche d’être trop vieilles. Combien de femmes que les studios ont modelées, glorifiées, starisées puis jetées sans pitié ?

Sunset Boulevard est un des plus beaux et des plus cruels miroirs dans lequel Hollywood se soit regardé. Le pessimisme y côtoie la drôlerie, les dialogues sont corrosifs et les acteurs excellents. C’est un vrai classique ! Ajoutons que le scénario du film, œuvre de Charles Brackett, Billy Wilder et D.M. Marshman Jr., a été récompensé d’un Oscar et qu’il a été dépassé en récompenses par un autre film admirable, proche par la tonalité et la thématique: All about Eve de Joseph L. Mankiewicz !

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