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Sympathie pour le diable (Guillaume de Fontenay)

Avant le film du même-nom, Sympathie pour le diable est le titre de l’ouvrage autobiographique que le reporter Paul Marchand a consacré en 1997 à son expérience de la guerre en ex-Yougoslavie. Le journaliste a séjourné et travaillé à Sarajevo, pendant le siège de la ville par les forces serbes. Bien que Marchand ait été une voix fréquente sur France Inter, RFI, France Info etc. je découvre comme beaucoup l’existence de cet homme. Grâce à Niels Schneider, un acteur dont j’apprécie de plus en plus le travail, j’imagine certains traits de caractère, forcément présents dans le livre : l’intrépidité, l’indépendance d’esprit, le courage, l’esprit critique. La figure du reporter est en soi tellement romanesque qu’elle a nourri de multiples films, plus ou moins intéressants (Salvador d’Oliver Stone, L’année de tous les dangers de Peter Weir, La déchirure de Roland Joffé…). Parmi cette longue liste de films, Sympathie pour le diable est-il recommandable ?

Urgence et adrénaline du métier de reporter

Bien que tourné à Sarajevo, dans les lieux qu’a connus Marchand, on sent dans la modestie des prises de vue et des décors que Sympathie pour le diable est un film au budget limité par rapport à son « décor » de guerre. En cherchant sur Internet on trouve 3,5 millions d’euros, ce qui le situe sous la moyenne du cinéma français. Si cet aspect spartiate se voit pendant quelques minutes, le réalisateur Guillaume de Fontenay, en collant à son personnage, nous fait rapidement ressentir l’urgence et l’adrénaline du métier de reporter de guerre. Dès qu’il en est informé, Marchant se précipite sur le lieu de l’action, parfois avec un photographe (Vincent Rottiers), un caméraman (Clément Métayer) ou sa traductrice Boba (Ella Rumpf). La plupart des séquences sont tournées caméra à l’épaule, toujours dans un format carré qui traduit la destination télévisuelle du reportage. Revient le motif du reporter conduisant sa voiture à toute vitesse sur la principale artère de Sarajevo, tandis que résonnent les tirs des snipers. Ce métier est dangereux, il faut une certaine dose de courage, d’inconscience et de résilience pour ne pas craquer. Certaines séquences rudes viennent aussi percuter les rares moments de bonheur et de tranquillité. Une ville cernée par les pièces d’artillerie (300 bombes par jour !) et les snipers connaît des tragédies quotidiennes.

A quoi sert un journaliste en temps de guerre ?  

On se pose beaucoup la question dans la première partie du film : Marchand est-il un de ces fous qui « aime l’odeur du napalm au petit matin » (cf. Apocalypse now cité dans le film) et/ou un cynique cherchant la bonne histoire à raconter, au mépris du danger ? L’utilisation par Niels Schneider des accessoires du reporter, son cigare, son bonnet, est très intéressante. Il incarne au premier abord un personnage loup solitaire et casse-cou construit de toute pièce, auquel le film va progressivement enlever ses accessoires. En utilisant la relation entre Paul et Boba, en « mariant » ainsi le reporter à la population de Sarajevo, le scénario offre au personnage une profondeur psychologique intéressante. A partir du moment où Marchand s’engage affectivement dans le conflit, sont remis en cause son métier de reporter, son statut d’étranger couvrant une guerre lointaine. Il éprouve la tentation de devenir lui-même un acteur du conflit.

A quoi sert un journaliste en tant de guerre ? La position critique de Marchand au milieu de ses confrères révèle les ambiguïtés de ce métier. Pourquoi est-on là ? A quoi sert-on ? Couvrir une guerre, est-ce relayer la parole frelatée des belligérants et acteurs du conflit (ONU) ? Est-ce fabriquer des histoires permettant au public lointain de s’y intéresser ? Pire encore : est-ce une façon de se mettre en scène et de ressentir des sensations fortes ? On sait que c’est une expérience intense de se trouver soudain au milieu des explosions, dans le sifflement des balles, à quelques pas de gens morts ou blessés. C’est cela la sympathie pour le diable, l’attirance pour le danger. Cette adrénaline est forcément un stimulant pour ces journalistes ayant choisi le fracas de la guerre plutôt que le bruit d’une salle de rédaction. Même s’il se détache de ses confrères, Paul Marchand n’échappe pas à ces interrogations.

Sympathie pour le diable est un bon film mais j’ai ressenti qu’il manquait quelque chose, malgré la cohérence de la réalisation et la conviction de ses acteurs. A un moment, Paul Marchand se fâche contre une journaliste de CNN, lui reprochant de mettre en valeur les reporters plutôt que de parler de la population de Sarajevo. On pourrait faire ce reproche au film. On ne saisit pas bien les enjeux de cette guerre et les déchirements ethniques et familiaux qu’elle a provoqués. Focalisé sur le héros et l’urgence des situations, le spectateur ne comprendra pas la nature du drame de Sarajevo, ce qui a eu lieu entre Bosniaques et Serbes de Bosnie. Que pense et ressent Boba, elle-même serbe de Sarajevo ? La figure omniprésente de Marchand a tendance à l’occulter. Sans se transformer en documentaire sur le siège de Sarajevo, Sympathie pour le diable avait sans doute les moyens d’en dire un peu plus…

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