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Midsommar (Ari Aster)

Avec le malsain Hérédité (2018), l’américain Ari Aster avait réalisé un des films d’horreur les plus marquants de ces dernières années. On conseille ce faux drame familial (avec Gabriel Byrne et Toni Colette !) à ceux que ce type de cinéma ne fait pas fuir, d’autant plus qu’il est dépourvu des tares habituelles du genre: scénario et dialogues crétins, montage survolté, rebondissements téléphonés. Là où beaucoup de productions parient sur les mêmes ressorts pour faire bondir l’acheteur de popcorn, Ari Aster travaille l’atmosphère et les cadrages, privilégie la lenteur, sème des indices sans en avoir l’air. Midsommar sorti en plein été confirme que nous avons affaire à un vrai cinéaste, à un styliste aux obsessions affirmées.

Et pourtant cela commence comme dans plein de films d’horreurs, avec deux leitmotivs reconnaissables. D’abord celui  du personnage qui a vécu un traumatisme et dont on craint qu’il en vive un autre. Dani (Florence Pugh) a perdu sa sœur et ses parents dans une tragédie horrible, elle a du mal à s’en remettre. Celui ensuite de la virée entre jeunes en terre inconnue, qui risque de très mal tourner. Pourquoi ne pas se payer du bon temps en Suède, se disent Christian (Jack Reynor) et ses potes étudiants en anthropologie, Mark (Will Poulter) et Josh (William Jackson Harper) ? Il y aurait moyen de baiser, de prendre des drogues tout en profitant de l’hospitalité de la famille de leur copain Pelle (Vilhelm Blomgren). La Suède ? On a connu destination plus traumatisante pour un film d’horreur !

Les coutumes païennes

C’est au paradis que débarquent nos étudiants, dans une communauté rurale un peu bizarre mais accueillante. Le soleil est à son zénith, on prépare dans la joie une grande fête du Solstice. Le cinéaste privilégie les cadres larges du tableau champêtre. Il prend le temps de filmer les coutumes païennes, les chants, les danses, les gestes. La photographie de Pawel Pogorzelski, déjà à l’œuvre sur Hérédité, est extrêmement lumineuse. La caméra prend son temps, les séquences sont étirées. Il y a bien des indices, des paroles, des dessins muraux, un temple, un ours aperçus quelques secondes mais on ne voit pas tout de suite ce qui cloche car on est pris dans un conte de fée. L’œil du spectateur se confond aussi avec celui des jeunes américains. Comme ils sont étudiants en anthropologie, attirés par les cultures nordiques, leur regard est blasé et distancié. Le malaise se dessine pourtant détail après détail. Ce n’est pas que Dani, Christian et les autres soient mal accueillis, c’est juste qu’ils font tache dans le décor. Alors que cette communauté très unie paraît de plus en plus étrange, que ses coutumes s’éloignent de la normalité, ces personnages de jeunes américains, on s’en rend compte, ne sont pas du tout attachants. Hormis Dani, figure centrale du film, ils sont décrits comme des petits cons matérialistes et mesquins. Individus égoïstes consommant de l’authentique, leur présence détonne dans cette collectivité qui prend de plus en plus la forme d’une secte.

Comme un dissolvant

Le film d’horreur contemporain et sa catégorie slasher movie (Scream par exemple) ménagent le suspense pour produire de fulgurants crescendos de barbarie. Tel le couteau du serial-killer, la violence sanguinolente déchire le voile de la vie normale. Elle s’invite comme ingrédient pour choquer le spectateur, le faire crier d’effroi. Celui-ci sait qu’en échange de sa peur, il aura droit à un retour « à la normale ». On se débarrasse du méchant, du Mal, et tout revient « comme avant ». Le cinéma d’Ari Aster ne fonctionne pas dans ce registre. La mort y est présente certes, sous forme d’images très choquantes mais filmées sèchement, sans affect. Le meurtre y est le plus souvent hors-champ. La bande-son fait écho aux horreurs mais elles se passent loin. Ce qui est de l’ordre de l’écho, du bref, du sensible finit pourtant par se dévoiler comme le réel lui-même.

Midsommar fait son effet comme un dissolvant, très lentement. Le film se dépouille pas à pas de tous les signes de normalité. Nous ne le savions pas mais nous ne sommes plus chez nous, dans la société de consommation et dans le respect absolu de l’individu. Ce n’est pas du folklore, c’est le réel. La société païenne qu’il nous montre est aux antipodes de la nôtre et pour survivre elle dissout les individus dans le collectif, donnant lieu à des scènes hallucinantes et cauchemardesques. Comme dans Hérédité, le cinéaste nous montre que l’inconcevable peut tout d’un coup être concevable, que les valeurs d’une société peuvent être inversées dans une autre. Les quelques plans comme cette route à l’envers, ciel en bas, ne sont donc pas gratuits. La fin du film, paroxystique comme l’était celle d’Hérédité, agit comme révélation d’une vérité qui était là sous les yeux. Après tout, dans cette région de Suède, il ne fait pratiquement jamais nuit. Tout est visible, exposé à la lumière.

Midsommar est fou, plastiquement magnifique et déstabilisant. Certains diront que c'est grotesque et risible. Derrière moi, un couple de vieilles dames riaient, trouvant le film nul. Moi, j’ai ri aussi mais d’incrédulité ! Il en va de l’horreur comme de la comédie, les films sont le plus souvent mal notés, dégommés, jamais assez vraisemblables mais franchement quelle expérience de cinéma !

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