John Huston
Give me liberty (Kirill Mikhanovsky)
C’est à Milwaukee Wisconsin que le réalisateur Kirill Mikhanovsky né à Moscou a étudié la linguistique et l’anthropologie. Cette ville des grands lacs qui donne son décor à Give me liberty est certainement un choix autobiographique fort. Non seulement à l’écran elle a l’air aussi glacial qu’une ville russe mais elle sert de cadre fictif à une communauté d’immigrés venant de chez Vladimir Poutine.
De famille russe, Vic (Chris Galust) est un ambulancier transportant quotidiennement des handicapés dans son van. Harcelé par son employeur, devant s’occuper d’un grand-père qui ne tourne pas rond, Vic fonce toute la journée tout en rendant des services. Tandis que des manifestations anti-police grondent dans le ghetto noir, il doit conduire Tracy (Lauren Lolo Spencer) à son travail tout en déposant au cimetière les vieux amis de la défunte Lylia.
Les premières séquences augurent d’un film réaliste centré sur le travail de Vic. Hormis Vic, la majorité des personnages sont des handicapés ou des personnes âgées immigrées. Ce n’est pas l’image habituelle des Etats-Unis. On ne voit que des gens qui ont besoin d’assistance sociale pour vivre. Ce serait comme la transposition d’un roman russe avec ses petites gens et ses oubliés au pays de la réussite capitaliste (Gogol à Milwaukee ?). Mais ce mélange pas courant d’handicapés, d’afro-américains et d’immigrés slaves, secoué par un montage nerveux, donne un film drôle et déroutant qui déjoue les préjugés du spectateur.
Rencontre des cultures
Kirill Mikhanovsky qui est le scénariste de Gabriel et la montagne (2017), récit dramatique d’un jeune routard argentin traversant l’Afrique de l’Est, aime visiblement la rencontre et la friction des cultures. Alors que la collision entre afro-américains et russes pouvait produire un constat sombre sur la fracture communautaire, sur les tensions inévitables entre blancs et noirs, le film choisit la carte du la communication et de la parole fraternelle entre oubliés du système. La tension et les peurs sont visibles à l’écran, elles sont une possibilité que le réalisateur ne cherche pas à cacher. D’ailleurs, un des pics dramatiques du film se déroule dans une manifestation qui semble celle du mouvement Black lives matter. Le cadre réaliste proche de l’explosion demeure et il n’y a aucune volonté de repeindre la réalité en rose.
Le caractère foutraque, débordant et improvisé du récit fait le charme de Give me liberty. Le film montre dans l’enchaînement frénétique des séquences une soif de relier les gens, de leur faire partager quelque chose. Pourquoi faudrait-il sans cesse se réfugier derrière des règles, des frontières mentales et sociales ? C’est ce qu’incarnent les handicapés dont la parole est plus libre et naturelle que celle des gens « normaux » et aussi ce que représente le personnage de Dima (Maxim Stoyanov), soi-disant neveu de Lylia mais dont on ne sait d’où il débarque. Ce boxeur fantasque fait tout pour se rendre les gens sympathiques. Dima est l’archétype du personnage russe exubérant qui vous étreint au bout de cinq minutes alors qu’il ne vous connaît pas. Dima a besoin d’amour tout comme Vic et Tracy.
Kirill Mikhanovsky qui est coscénariste de son film a privilégié le débordement affectif et l’instinct au détriment de l’intellectualisation. On est loin donc des cadres rationnels du film social français ou britannique. Parfois ça ne fonctionne pas et on ne voit pas toujours les connexions entre les images et les situations (exemple : ces flashs rapides sur les dessins ou productions des handicapés). Il y a un côté bricolé et parfois maladroit mais l’énergie l’emporte le plus souvent.
Give me liberty n’est ni tout à fait un drame social ni une comédie picaresque. Ce caractère hors cadre réussi en fait une des belles curiosités de cet été de cinéma.