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Cinéclub : Les proies (Don Siegel)

C’est un film reconnu dans la carrière de Clint Eastwood. Sa compagnie Malpaso l’a produit en 1971, avec Don Siegel comme réalisateur. On en a entendu parler à nouveau en 2017 quand, pour certains, Sofia Coppola, a eu l’idée malheureuse d’en faire un remake. La fille de Francis Ford s’est attaquée à une œuvre marquante que tout cinéphile un peu curieux peut trouver sans effort en VOD. Ayant vu les deux films, je recommande de les voir ne serait-ce que pour comparer les deux approches d’une même adaptation, étant entendu que la dernière version, celle de Coppola, est plus faible que l’originale. La réalisatrice de Virgin suicides s’est intéressée aux émois, aux rougissements de honte, à la sueur qui se dépose au premier trouble, aux rivalités un peu « chipies » entre jeunes femmes à peine pubères. Elle a fait preuve d’une délicatesse qui confinait parfois au fade. Le film de Siegel est beaucoup cru, gothique (et misogyne ?). Il est produit par une star virile des années 70, Clint, bien plus charismatique que n’a pu l’être Colin Farrell dans le remake. Époque oblige, le désir y est abordé de manière plus frontale et le film comporte son lot d’images choc. Les proies n’est pas si loin dans ses moments de tension des outrances du giallo. Tout en ayant gardé sa vigueur aujourd’hui, c’est un film bien de son époque.

L’histoire se déroule pendant la Guerre de Sécession. Un soldat yankee, John McBurney (Clint Eastwood), blessé à la jambe pendant une bataille en territoire sudiste, est recueilli dans un pensionnat de jeunes filles. La guerre a été longue, pleine de privations et l’arrivée de l’homme provoque un trouble dans la maison. Que ce soit Mme Martha (Géraldine Page), l’intéressée propriétaire des lieux, Ms Edwina la gracile professeure (Elizabeth Hartmann), la toute jeune Amy (Pamelyn Ferdin) ou bien la délurée Carol (Jo Ann Harris), toutes nourrissent un désir pour cet homme qui n’hésite pas à les manipuler. McBurney essaie aussi de s’allier Hallie (Mae Mercer), la servante noire de la maison, sans doute le personnage le plus lucide des lieux.

Tout au long du film s’exacerbe un désir féminin qui pour ses protagonistes a du mal à dire son nom. Chacune peut avoir des raisons de séduire le soldat (trouver un homme pour entretenir la ferme, combler un passé sentimental décevant) mais le film entraîne très vite ses héroïnes dans l’irrationnel. En version originale, il s’appelle the beguiled, qui est synonyme d’envoûté, d’ensorcelé ou de séduit. On voit quelques tics du cinéma des années 70 comme l’usage du zoom mais le filmage de Don Siegel (Dirty Harry, Tuez Charley Varrick !) est très habile à montrer le désir circulant et enflant. Ses mouvements de caméra et le montage parfois nerveux, distillant quelques fulgurants flashbacks  illustrent bien la charge pulsionnelle qui anime le film. Grâce à la qualité de son casting, le réalisateur parvient à donner de l’épaisseur à chaque personnage sans en sacrifier. Chaque situation crée une tension et des dynamiques d’attraction-répulsion comme entre un astre et ses satellites. Soulignons aussi la superbe photographie de Bruce Surtees, directeur de la photographie qui accompagnera Eastwood pendant sa carrière (Un frisson dans la nuit, L’évadé d’Alcatraz, Pale rider et beaucoup d’autres. De jour, les paysages et intérieurs prennent avec son image un aspect moite, fané, déliquescent. Les intérieurs éclairés à la bougie de nuit, créant de forts contrastes, accentuent la dualité des personnages féminins, tiraillés entre moralité et stupre.

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Pour ces jeunes femmes privées de présence masculine, l’arrivée de l’homme est comme celle d’un coq dans une basse-cour, à moins que ce ne soit celle beaucoup plus dangereuse d’un renard. Avec beaucoup d’humour, Hallie souligne que depuis l’arrivée du soldat, les poules se sont remises à pondre ! Le scénario entretient peu de mystères sur la nature véritable de McBurney. Il est toutefois acquis que le prédateur assez lisible dans ses intentions va se transformer en proie.

Les proies donne un éclairage sur la conception très puritaine et ambiguë du sexe propre au cinéma américain et à une certaine culture occidentale. Le désir féminin se traduit par un dérèglement physique qui peut mener à la violence. Ces innocentes qu’on protège des soldats de passage peuvent se transformer en simili-sorcières, convertir leurs désirs inassouvis en désir de meurtre. Quant à l’homme, c’est par définition un être menaçant, incapable de tenir sa bite et qui a d’ailleurs du mal à comprendre qu’on le lui reproche ! Il est amusant de voir Clint Eastwood, les yeux révulsés s’indigner qu’on lui fasse payer chèrement ses incartades. La légèreté masculine et l’assouvissement de désirs simples provoquent le déchaînement de forces féminines insoupçonnées. Il faut dire que ce beau soldat mutilé par la guerre, c’est un peu le Christ couvert de stigmates qu’on avait recueilli par charité. Une pietà apparaît d’ailleurs dans un des passages les plus débridés du film. McBurney n’est hélas pas le Christ et Mme Martha loin d’être la vierge Marie ! L’acte de bonté et de bienveillance, recueillir un soldat ennemi, sont dévoyés pour des raisons bassement charnelles.

Certes on peut voir le film de Sofia Coppola (avec Elle Fanning, Kirsten Dunst et Nicole Kidman tout de même) mais c’est bien pâle à côté de ce film baroque, drôle et déréglé. Ajoutons que Clint Eastwood, massacré à l’époque par de nombreux critiques pour la faiblesse de son jeu d’acteur (Pauline Kael notamment), y joue remarquablement tout en mettant en danger son statut de grande star masculine.

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