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Les éternels (Jia Zhangke)

Le dernier film du chinois Jia Zhangke est en apparence l’histoire d’un amour qui perdure malgré les épreuves. En 2001, Qiao (Tao Zhao) est la compagne heureuse de Bin (Fan Liao), un caïd de la province minière de Shanxi. Suite à une rixe qui tourne mal, elle fait de la prison pour lui puis à sa sortie le recherche à Fengjie, près du barrage des Trois Gorges. Mais Bin a réussi et changé de vie. En 2017, elle le retrouve dans le Shanxi. C’est un homme détruit. Les éternels est un objet de cinéma froid et cérébral. A l’émotion d’un mélodrame se substitue une vision désenchantée de la Chine et de ses habitants, emportés dans des transformations radicales.

Déjà-vu

Le précédent film de Jia, Au-delà des nuages, faisait déjà avec Zhao Tao le constat d’une société en mutation violente. D’un côté une région minière, héritage du communisme, qui se meurt et sacrifie ses ouvriers. De l’autre, une classe capitaliste qui s’enrichit tout en s’exportant partout dans le monde. Un pays impitoyable pour ses pauvres mais guère plus tendre avec sa classe riche qui préfère la richesse à l’humanité. Les éternels se déploie comme Au-delà des nuages sur plusieurs années, se raconte à travers la même actrice, compagne du réalisateur, et porte le même regard réaliste sur la Chine. Un sentiment de déjà-vu ne m’a pas quitté. Les mêmes qualités documentaires et la même ambition narrative sont là mais cette histoire d’amour assez glaciale remue plus de réflexion que d’émotion. Les liens entre Qiao et Bin renvoient à leur passé commun et au sacrifice de Qiao pour lui mais les braises de la passion se sont transformées en cendre froide. Le temps et les déplacements semblent avoir eu raison des sentiments.

Film couleur béton

On le voit, le pays change tellement vite qu’il contraint ses habitants à des bouleversements violents. Les mineurs du Shanxi sont invités à se déplacer vers une autre province minière. La région des Trois Gorges connaît l’engloutissement d’une partie de ses terres et habitations. Les constructions sont partout, les transports changent : un bus transporte des ouvriers dans les premiers plans du film, une immense gare apparaît au final dans la ville de Datong,  capitale du Shanxi. Ce film à la photographie de gris, de blanc, de beige est en définitive couleur de béton. A travers des plans aériens sur les grands ensembles urbains, on y fait le constat que les villes chinoises sont d’une incroyable laideur. Leur modernité grisâtre se pare de lumières un peu plus chaudes la nuit et de spectacles particulièrement kitschs. On y voit des danseurs de salon égayant la piste d’une boîte de nuit, un concert de variété particulièrement larmoyant. La modernité chinoise est ce mélange furieux de capitalisme de BTP et de pacotille qui fait mal aux yeux. Il semble que les chinois n’aient plus que des rengaines et des chansons populaires (YMCA ou la chanson du Killer de John Woo) pour s’émouvoir. Il y a peu de choses qui restent en l’état dans ce pays au patrimoine saccagé et aux habitants transformés en nomades, au point que Jia Zhang-ke pose la question de ce qui peut justement demeurer éternel. L’amour ? Les souvenirs d’une vie heureuse dans la pègre ? Les paysages de montagne ?

Les éternels peine à émouvoir par sa tonalité sinistre et le jeu glacé de ses acteurs mais il se révèle très riche de sens. Qiao, fille de mineur et compagne d’un caïd, personnifie ce pays communiste qui s’est jeté dans les bras de crapules et de profiteurs. Puis le capitalisme nouveau est devenu respectable, avant qu’il ne soit purgé de ses éléments les moins honnêtes. Le pays a broyé le caïd Bin tandis que Qiao est restée fidèle à elle-même. Les moments les plus insolites du film, les plus originaux sont ceux où Qiao profite de la situation pour se sauver la mise (la scène du restaurant, celle du motard). On regrette que le scénario n’ait pas donné plus de place à ces moments presque comiques. On avait vu dans Touch of sin que ce réalisateur savait manier la satire.

L’aspect documentaire l’a emporté pour moi sur le romanesque. L’impression de redite, l’habillage assez artificiel en film de pègre font penser que ce grand réalisateur a sans doute atteint une forme de stagnation créative. Mais il a vu son pays se transformer en société de contrôle par les nouvelles technologies: quelques images l’illustrent à la fin. On attend avec impatience la suite de l’œuvre…

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