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Vice (Adam McKay)

Regarder Vice et suivre les aventures de Dick Cheney, Don Rumsfled, Paul Wolfowitz, c’est se remémorer un temps récent et en même temps lointain, celui des néo-conservateurs américains qui en détruisant l’Irak de Saddam Hussein ont déstabilisé pour longtemps le Moyen-Orient. Ces faucons autour de George W. Bush ne connaissaient que le rapport de force, la realpolitik cynique, la manipulation et l’intérêt. Faire le portrait du premier d’entre eux, le vice-président Dick Cheney, c’est comme jeter un filet dans la mer et remonter des kilos d’ordures à la surface. On peut dire que le film d’Adam McKay remplit bien cette fonction : dénoncer les méfaits d’un salaud qui, paraît-il, coule des jours heureux dans le Wyoming avec son épouse. Après tout ce qu’il a accompli, on déplorera qu’il n’ait jamais été inquiété par la justice de son pays.

Sans scrupules

On connaît Dick Cheney si on s’intéresse à la politique américaine depuis Nixon et si on a suivi la deuxième guerre d’Irak. Ce n’est pas le cas de la majorité du grand public et il est probable que beaucoup d’américains ne savent pas grand-chose sur ce personnage. Si le scénario de Vice est aussi démonstratif et didactique que cela, c’est sans doute pour éclairer le public sur une personnalité finalement très opaque. Le film pose la question dès son entame: comment un personnage de si peu d’envergure a-t-il pu atteindre les sommets et devenir le vice-président le plus puissant de la présidence américaine ? Par quelques flashbacks, le film associe le destin du jeune homme assez primaire qu’il était à celui du vice-président gérant les urgences du 11 septembre. Cet homme sans qualités est parvenu à monter les échelons du pouvoir grâce à l’ambition de son épouse, Lynn, à sa loyauté envers plusieurs présidents républicains et surtout grâce à son absence totale de scrupules. Depuis sa jeunesse à Casper (Wyoming) jusqu’à sa nomination en tant que vice-président de George W. Bush (Sam Rockwell), il aura montré une absence totale d’idéal, au service d’une ambition qui n’est même pas la sienne. Drôle de bonhomme !

Réquisitoire à charge

Vice adopte la même démarche pédagogique et grinçante que le précédent film de McKay, The big short : le casse du siècle. Il ambitionne d’expliquer de manière simple et rigolarde des mécanismes très complexes. The big short avait réussi à rendre compréhensible les causes techniques de la crise financière de 2008, tout en étant une très bonne comédie satirique. La crise financière était le symptôme comique d’un capitalisme devenu dingue. Vice ne retrouve pas l’esprit de ce précédent film. Ce qu’il montre, une histoire d’ambition personnelle, est bien plus simple que les subprimes. La voix off a beau nommer les protagonistes de cette comédie du pouvoir, et nous parler de la théorie de l’exécutif unitaire ayant permis à Cheney de s’assoir sur la légalité, le film se limite le plus souvent à une accumulation brouillonne d'accusations. La voix off et le montage disséminant des images d’actualité, notamment sur la guerre d’Irak, sont dans une logique de réquisitoire qui ne brille pas par sa subtilité. Toutes les turpitudes ont eu lieu mais la charge est bien lourde pour un seul homme. Cheney a fait ci, Cheney a fait ça… On capte des images de Trump, de Jeff Sessions (ministre de la justice de ce dernier) et on comprend que si la présidence actuelle en est là, si le monde va aussi mal, c’est à cause de lui. On voit furtivement Obama et on se dit qu’après les méchants qui mentaient et trichaient sont arrivés les gentils mais ce schéma est trop simpliste pour nous convaincre. McKay ne nous fait pas voir la matrice politique qui a offert tant d’opportunités à un type comme Cheney. Le film feint de l'ignorer mais la "grande" démocratie américaine était déjà corrompue et impérialiste sans lui!

Corps gonflé

On connaît la grande plasticité de Christian Bale, sa capacité à se transformer jusqu’au glauque (The machinist, pour lequel il avait perdu 28 kilos). On n’est pas fanatiques de la transformation à l’extrême, surtout quand elle devient un argument de vente. Cela dit, elle constitue le meilleur argument du film. Le corps du personnage est à son image. Le jeune homme de Casper est déjà épais, son visage reflète une intelligence entravée par la brutalité. Les années passent et le film montre le gonflement de la silhouette. L’homme est gourmand et enfle comme une baudruche. Cet arrondissement pourrait être le signe d’une sagesse accrue mais c’est faux. Cette rondeur lui sert parfaitement, elle est trompeuse. Le corps est une carapace ayant emprisonné la violence du jeune homme. Il n’y a plus que la bouche pour faire sortir le côté implacable du sale type. Le visage inexpressif, les dents serrées, les tics, la voix rauque : Christian Bale compose admirablement cet homme double et faux, alliant intelligence et médiocrité.

Certains plans du film font ressortir l’aspect factice et fabriqué de la silhouette. Il y a un côté marionnette dans ce personnage. On comprend que ce corps s’est juste gonflé de sa propre importance et de l'hélium du pouvoir. Qu’il sonne creux. « En quoi croyons-nous ? » demandait le stagiaire Cheney à un Rumsfeld hilare (Steve Carrell, excellent). C’est la meilleure de l’année, semble penser Rumsfled. Cette question sans réponse n’en aura plus jamais pour Cheney. Le seul objectif est de devenir quelqu’un notamment aux yeux de sa propre femme (Amy Adams) et le reste n’a que peu d’importance. Le pouvoir pour lui-même, fuck la morale, fuck les idéaux ! L’intelligence de Cheney est sans doute d’avoir compris ses propres limites et d’avoir accepté d’endosser le costume trompeur de vice-président pour goûter au sommet. On voit un moment son ancien cœur retiré pour une transplantation. On en met un nouveau et le bonhomme est reparti. Ce type est une machine sans âme, pense-t-on, qui arrive même à déjouer la mort !

Cela fait beaucoup de bien de taper sur un salopard mais ce n'est pas très fin. La charge anti-Cheney de McKay est aussi bourrine qu'un tapis de bombes sur l'Irak. Comme les acteurs sont tous excellents et que les procédés comiques ne manquent pas, on est facilement indulgents !

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