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Ciné-club : C’est arrivé près de chez vous (Rémy Belvaux)

Le film culte de Rémy Belvaux était dans la sélection Un certain regard à Cannes en 1992. Il y avait suscité des polémiques, à raison. Moi, adolescent peu au courant des festivals, je l’avais découvert dans un cinéma de Strasbourg. Un gars de mon lycée avait insisté pour qu’on le voie en petit groupe. A ce qu’il paraissait, c’était un film « génial ». Je n’ai pas su comment prendre un tel film, je n’avais jamais vu un humour aussi noir à l’écran. C’était très malsain et souvent drôle mais comment rire quand on voit un viol ou un infanticide ?  Si ce film choquant a passé les années avec succès, il le doit entre autres au génie comique de Benoît Poelvoorde, dont c’était le premier grand rôle, à 27 ans.

 

Psychopathe de voisinage

Benoît Poelvoorde incarne un psychopathe mais pas n’importe lequel. Benoît Patard : psychopathe de voisinage, tueur en série de proximité, qu’on peut rencontrer dans le quartier, au bistrot. Idée assez géniale du réalisateur Rémy Belvaux (frère de Lucas Belvaux, suicidé en 2006) que de présenter cela comme un dérivé de l’émission Striptease. En mode « reality show », on suivra donc ce fou furieux comme si c’était un gentil original, parmi ses parents ou ses amis, dissertant d’art, d’urbanisme entre deux meurtres sauvages. C’est arrivé près de chez vous, nous dit-on et c’est vrai, on n’est pas dans Le Silence des agneaux mais à Namur ou Bruxelles, dans les décors désolés ou populaires d’un film social. Le noir et blanc, choisi pour des raisons économiques (car c’est un film de fin d’étude !) renforce l’aspect modeste et documentaire de ce film qui a employé de nombreux bénévoles, dont les parents de Poelvoorde.

Tares de l’homme ordinaire

Prendre au sérieux un pareil film expose à son rejet. Il faut accepter l’absurde que représente ce tueur en série à l’accent namurois comparant tranquillement le poids de lestage des adultes, des enfants ou des nains. Benoît Patard est un concentré délirant des tares de l’homme ordinaire : cynique, pédant, raciste, sadique. Poelvoorde reprendra cette palette très sombre dans la série des Monsieur Manatane de Canal+ et de façon moins extrême dans des films comme Les randonneurs (Philippe Harel) ou Les portes de la gloire (Christian Merret-Palmair). Le spectateur est placé au même niveau que l’équipe TV et Rémy (Rémy Belvaux) dont le malaise s’accroît à mesure que la violence grandit. Comme Rémy, on éprouve pour Patard un mélange d’effroi et de sympathie bien malgré soi.

Provocation, voyeurisme

Revoir le film aujourd’hui fait prendre conscience des notions de provocation ou de politiquement incorrect. Elles ne sont pas feintes dans C’est arrivé près de chez vous. Le film est le fruit d’une collaboration étroite entre Rémy Belvaux (réalisation), André Bonzel (photographie) et Benoît Poelvoorde, tout juste sortis des études. On imagine le manque de freins, la liberté d’écriture, la volonté de satire de jeunes adultes non encore formaté par l’industrie du cinéma. Ils ont produit une œuvre affreuse, sale et méchante qui semble assez spontanée. On ne voit pas d’équivalent depuis lors et on n’imagine pas un producteur financer un tel film aujourd’hui. C’est une moquerie des productions médiatiques en plein essor à l’époque, interpellant le spectateur sur son désir voyeur d’images. Pourquoi, si le spectateur veut du vrai, du cru, ne pas lui servir la vie quotidienne d’un serial-killer ?

C’est un film de fin d’études, fauché, autofinancé, tourné pendant 1 an certes mais pas fabriqué par des manchots. On ne se dit jamais que c’est une succession maladroite de sketches ou d’exploits poelvoordiens. Duré courte d’1H35, rythme serré. Le film alterne harmonieusement les scènes de groupe (le déjeuner à la mer, l’anniversaire de Ben), les monologues du tueur et les brusques accélérations de montage dévoilant la violence sauvage de Ben.

Alors que Pulp Fiction de Tarantino a coïncidé avec une vague de films violents et trash, qu’il a lui-même suscité des films dans cet esprit (True romance, Natural Born killers, Killing Zoe…), C’est arrivé près de chez vous est resté un OVNI dans le paysage du cinéma européen, sans succession évidente. S’il met mal à l’aise et fait toujours rire jaune, il ne montre aucune empathie pour la violence. Il a gardé une fraîcheur et une méchanceté qui le rendent encore jouissif aujourd’hui.

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