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Jusqu’à la garde (Xavier Legrand)

Ce film, projetez-le dans les écoles, les collèges, les lycées, les facultés. Organisez des débats citoyens après. Pour ce qui est de la TV, il passera sur France 2 dans un an et pourquoi ne pas l’encadrer d’un Thema sur Arte consacré aux violences conjugales ? Ce n’est pas ironique : Jusqu’à la garde est un film instructif, au sujet peu traité par le cinéma. Je me suis creusé la cervelle pour retrouver un film qui en parle et le seul qui me soit venu est… la Couleur pourpre de Spielberg, qui date de 1985 ! Ce film m’avait marqué parce qu’en plus de subir la ségrégation raciale, le personnage incarné par Whoopi Goldberg en prenait plein la gueule par son mari. Sa vie était une litanie de souffrances et l’ami Spielberg n’avait pas lésiné sur le mélodrame. Mais cette violence-ci n’était pas centrale et s’inscrivait dans un contexte plus large d’oppression. Jusqu’à la garde est en quelque sorte une première.

 

Le sujet, rien que le sujet

Le réalisateur Xavier Legrand, dont c’est le premier film, a préféré l’ultra-réalisme aux violons du mélodrame. Il n’y a pas de musique et le film est dépouillé de toute digression ou de moment de flottement en dehors de son sujet. Ami spectateur, si tu privilégies le sujet, rien que le sujet, dans la dimension la plus strictement documentaire, alors ce film est pour toi. La violence conjugale, en détails. L’audition chez Madame la juge. La femme (Miriam - Léa Drucker) qui se retranche dans le silence et la fuite pour protéger ses enfants. Les enfants traumatisés qui ne veulent plus voir leur géniteur. Le père (Antoine - Denis Ménochet) qui utilise toute la gamme des violences contre eux, du chantage, de l’intimidation jusqu’à la fureur destructrice. Les gros plans sur les visages captent la terreur, notamment celle du fils de 10 ans (Julien - Thomas Gioria), et la colère montante d’un type qui est devenu une menace. Au jeu contrôlé, quasi pétrifié de Léa Drucker, Ménochet oppose sa force de gros ours névrosé et au regard vitreux. Plusieurs scènes montrent un homme qui aurait besoin de se faire soigner.

Cet ultra-réalisme visant à l’édification du spectateur finit par dessécher le film. Tout ce que fait le réalisateur est lisible et attendu. Tous ses effets nous embarquent dans un simili-thriller de bonne facture, linéaire et sans surprise. Les cadres serrés et suffocants accentuent le climat de stress autour des personnages. La dilatation du temps, comme pendant la fête d’anniversaire de Joséphine (Mathilde Auneveux), souligne la menace latente que « l’autre » fait peser. On a aussi parlé de la bande-son, des bruits de l’interphone ou de l’ascenseur qui nous disent qu’il approche.

Collé à son sujet

Xavier Legrand est tellement collé à son sujet et les personnages unidimensionnels que je ne vois aucun intérêt à revoir ce film plus tard. Jusqu’à la garde est sans mystère ni profondeur. On voit très vite que le père est un prédateur menaçant. Son avocate cite un témoignage de ses collègues le décrivant comme sympathique. Ce décalage être social / être privé aurait pu être développé. Si beaucoup d’hommes échappent à la justice c’est aussi parce que leur visage avenant en société dissimule une réalité plus sombre dans l’intimité.

Xavier Legrand ne propose aucune perspective en dehors de ce portrait singulier de père psychopathe. D’où vient sa violence ? On croit le déceler dans une scène de dispute familiale. Mais où va-t-elle ? Comment Julien, fils terrifié, vivra sa vie d’homme ? On ne le saura pas. Il y a beaucoup de personnages dans le film mais peu de points de vue, peu de dialogues exprimant autre chose que de la peur. Les parents ? La fille ? Le petit ami de la fille ? Qu’est-ce qu’ils en disent ? La parole de Miriam existe à peine pour justifier ses réactions. Pourquoi n'a-t-elle pas conservé des preuves du harcèlement qu'elle subit?

Qu’on ne parle ni de Kubrick ni de Hitchcock pour évoquer ce film. Il s’agit ici d’une question de société qui dépasse le cadre du cinéma. Mis dans la peau de la voisine de palier qui observe Myriam et Julien, le spectateur est invité à ouvrir les yeux sur une réalité qui peut se dérouler à quelques pas. Il ne manque finalement qu’un numéro vert à la fin pour que ce film pédagogique soit entièrement abouti.

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