John Huston
Cinéclub : Les hommes préfèrent les blondes (Hawks)
Les temps ont bien changé depuis 1953. Ce qui se dit des femmes dans la comédie d’Howard Hawks ne peut plus être reproduit aujourd’hui, tant mieux. Lorelei (Marilyn Monroe) et son amie Dorothy (Jane Russell) ont bourlingué depuis leur jeunesse pauvre à Little Rock. Elles nous le chantent dès la première scène, leurs corps sublimés par de somptueuses robes rouges. Des plumes sur la tête, elles sont de chatoyants oiseaux s’égayant dans un décor en technicolor. Oui elles ont profité de leur beauté pour s’en sortir, à l’affût d’hommes riches payant leurs caprices. Lorelei va enfin épouser un milliardaire, le crétinissime Gus Edmond Jr (Tommy Noonan). Partie en croisière vers la France, elle devra ne pas céder à sa faiblesse pour les diamants et leurs propriétaires, alors que le père de son futur époux la fait espionner par un détective (Elliott Reid) qui en pince pour Dorothy !
Le mythe Marilyn
Bien que son sous-texte soit des plus sexistes, Gentlemen prefer blondes se regarde avec un immense plaisir. Il enchaîne les dialogues piquants, les scènes comiques et les numéros chantés mémorables comme ce Diamond are a girl’s best friend, copié par Madonna dans le clip de Material girl. On comprend le mythe Marilyn Monroe, qui y apparaît dans toute sa vérité. Bien que méprisés par de nombreux contemporains, ses talents de comédienne la font jouer une femme-enfant très subtile, à la fois cruche et extrêmement maligne. Enjôleuse, elle interprète une fille ouvertement cupide, qui vole une tiare de diamants, tout en gardant un air de profonde naïveté. On lui pardonne d’autant plus facilement qu’elle n’est pas bête du tout et souvent très drôle. Mr Esmond Sr : « Say, they told me you were stupid ! You don’t sound stupid to me! ». Elle : « I can be smart when it’s important. » Parce qu’il est sans cesse gai et outré, le film édulcore des situations qui pourraient sembler glauques. Des jeunes femmes cherchant à se faire entretenir par de vieux barbons, offrant leur compagnie pour de l’argent, c’est une forme de prostitution. Mais Howard Hawks ne porte pas de jugement moral, sa mise en scène ne surligne pas, elle joue ces situations caricaturales en toute tranquillité.
Il est amusant de voir Lorelei absolument insensible au charme des hommes de son âge mais transformée en adorable babydoll quand un vieillard riche passe à côté d’elle. Elle est inaccessible au commun des mâles. Il ne faut pas sous-estimer une forme de résistance cynique à la domination masculine (qu’on ne confondra pas avec du féminisme), qu’on pourrait exprimer ainsi: « Tu veux mon corps ? D’accord mais il va falloir payer très cher. C’est du donnant-donnant. » Et on rit en la voyant infliger de petits coups d'éventail aux hommes qui n'offrent pas de bijoux assez chers!
La créature parfaite
Il est par ailleurs difficile de mépriser la beauté sensuelle si photogénique de la star, qui est le résultat d’une démarche opérée par les studios - la 20th Century Fox a produit le film. Les formes mises en valeur par une garde-robe sophistiquée, la peau laiteuse, le visage impeccablement maquillée, la blondeur éclatante, Monroe fait figure de sur-femme, archétype d’une sur-féminité éclatante, épanouie et jouée avec un tel naturel qu’une Marlène Dietrich, autre sex-symbol modelé auparavant par Hollywood, en paraît toute artificielle. Jane Russell, elle-même jolie et sculpturale fait un peu hommasse à côté d’une Marylin qu’on croirait taillée dans une pâtisserie appétissante. On comprend que la blonde mythique soit devenue le rêve humide de millions de spectateurs masculins et le modèle à copier de nombreuses femmes. Les studios ont tout fait pour ! Ils ont créé la créature parfaite. Elle se fond naturellement dans les fantasmes de l’époque tout en les ridiculisant gentiment. Alors, est-ce que les hommes préfèrent vraiment les blondes ? Oui au point que le film a l’idée géniale de transformer la brune Dorothy en blonde Lorelei, provoquant une très belle scène de chaos. C’est une sorte de fantasme de studio : la transformation de toute femme en Marilyn.
Quelques années avant la libération sexuelle et une émancipation massive par le travail, c’est comme si le vieux système masculin se payait un dernier fantasme, celui d’une femme-objet radieuse, oisive, vénale mais enfantine, dont tout mâle ordinaire souhaiterait être le daddy protecteur. Après elle, il y aura encore des stars féminines mythiques comme Brigitte Bardot, Claudia Cardinale ou Jane Fonda mais plus jamais le cinéma ne produira une féminité aussi exacerbée.
Réflexion personnelle : pour une femme qui rêvait, on le sait, à des rôles dramatiques, cela devait être insupportable de devoir assumer cette immense libido mêlée de mépris. Il est connu que plus elle gagna en célébrité, plus elle devint accro aux médicaments, jusqu’à sa mort. Plus les années passaient, plus elle voulait se libérer de son état de créature de studio pour endosser des rôles plus à son goût. Sans doute n’était-elle pas suffisamment forte ni consciente de son génie, capable de jouer aussi bien les godiches touchantes (Some like it hot, Seven year’s itch de Billy Wilder) que les femmes désespérées (The misfits de John Huston).