John Huston
Thelma (Joachim Trier)
Oslo, 31 août (2011) et son personnage suicidaire inspiré du Feu follet de Drieu La Rochelle m’avait secoué, comme beaucoup. Les critiques très mitigées m’ont détourné du film suivant, Back home, à tort peut-être. A propos du norvégien Joachim Trier reviennent souvent les mêmes reproches. Ses scénarios sont sur-écrits et sa mise en scène penche vers une sophistication trop voyante. Ce sont des critiques qui peuvent être faites à Thelma. Néanmoins, à l’image de cette vaste couche de glace qui éblouit le premier plan du film, on saura gré au réalisateur d’aller regarder les choses inquiétantes qui se cachent derrière une surface lisse et brillante. Trier est citoyen d’un pays parmi les plus prospères et confortables du monde, la Norvège et il parvient très bien à montrer le malaise derrière la normalité apparente.
Vertige de scénariste
L’affiche française du film présente une jeune femme au visage inquiet, à la croix apparente, au corps fondu dans l’obscurité. En effet, Thelma, jouée avec une grande fragilité par Eili Harboe, n’est pas normale. Cette étudiante d’une université d’Oslo, pour la première fois loin de chez elle, ressent un malaise visible qui va petit à petit s’exacerber. L’emprise et l’omniprésence de ses parents créent les premières sensations d’étrangeté. Puis des crises épileptiques vont surgir à partir de l'apparition d'Anja (Kaya Wilkins). La tendre jeune femme marquée par son éducation puritaine se sent submergée par ses propres désirs.
Après la rencontre avec Anja, tout l’enjeu du film va être d’expliquer le mal qui accable Thelma en accumulant les hypothèses mais sans vraiment faire le tri. Le scénario du film coécrit par Trier et Eskil Vogt, son scénariste habituel, se déplie comme une longue pelure d’oignon. Chaque nouvelle strate d’explication se révèle sans épuiser le mystère. Thelma est-elle la victime d’une éducation chrétienne rigoriste qui lui fait refouler ses désirs ? Est-elle la proie d’un traumatisme originel ? Le résultat d’une hérédité malsaine ? Une malade qui s’ignore ? Un être doué de pouvoirs magiques qui la dépassent ? Thelma est tout cela et on admirera la capacité d’Eili Harboe à incarner cette multiplicité aussi simplement. Mais le film se regarde trop comme un vertige de scénariste, se maintenant à flots grâce à une mise en scène sophistiquée. Joachim Trier connaît sa grammaire de cinéaste. Il a une science des plans larges qui isolent les êtres humains. Il sait y faire rentrer le fantastique, jouant du temps et de la musique, saisissant soudain ce qui relève de l’anormal, comme ce vol d’oiseaux noirs qui s’élève près d’un bâtiment universitaire.
Sur-écrit et trop balisé
Thelma est un film d’une grande beauté plastique mais son mystère sur-écrit, trop balisé le place en-dessous de beaucoup de films qui ont métaphorisé l’éveil du désir féminin. Sous l’œil de réalisateurs souvent masculins, le passage de l’état de fille à celui de femme autorise une forme de baroque très cinégénique. Il manque à Thelma de ces scènes mythiques, débridées, qui projettent le spectateur dans l’irrationalité. Trop timide, il n’est pas aussi malsain que Carrie de Brian De Palma ou que l’Exorciste de Friedkin. On se sent frustré d’une forme d’outrance, de mauvais goût qu’on retrouve dans les films de Dario Argento aussi. Dans un registre plus primaire et plus corporel, des œuvres comme Black Swann (Darren Aronovsky) ou Grave (Julia Ducournau) produisent quelque chose de bien plus dérangeant. Pour reprendre la métaphore du début, on dira que malgré son talent de filmeur, Trier n’arrive pas tout à fait à briser la glace.
L’approche du norvégien est plus cérébrale, plus intellectuelle et sans doute plus militante que les films cités plus haut. Trier se fait encyclopédiste du trouble féminin dans l’Histoire, une courte séquence du film en rappelle la riche iconographie. Les saintes et martyres, les mystiques, les hystériques, les sorcières… Il place Thelma dans cette lignée de femmes dont les symptômes d’anormalité traduisent un immense besoin de libération qu'il faut encourager. Ce très beau thème servi par une actrice à suivre méritait sans doute plus de lâcher prise que cette dissertation cinématographique brillante mais un peu glacée.
Commentaires
Salut François
Distribution en salle restreinte pour ce Thelma. Après élimination des VF, une seule séance à 11h et uniquement en semaine. Bref, Thelma est promis à une séance de rattrapage en vidéo dans quelques mois.
Comme toi, j'ai adoré Oslo, 31 août. C'est l'un de mes films préférés de 2011. J'ai vu Back home en son temps. Je n'ai pas accroché mais c'est un film auquel je veux donner une seconde chance. Nouvelle donne (2006) se laisse regarder sans dépaisir.