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Ciné-club : Un été avec Monika (Bergman)

Je découvre Un été avec Monika (Sommaren med Monika) d’Ingmar Bergman maintenant, alors que je n’ai jamais été un familier du cinéma du maître suédois. J’ai vu il y a longtemps mais sans passion Le Septième sceau, Les Fraises sauvages mais pas plus, honte sur moi ! Or passer un été avec Monika a été un véritable délice, je l’avoue. Le film est empli de la sensualité et de la jeunesse de son personnage principal Monika (Harriet Andersson). Cette jeune femme, travaillant pour un épicier rencontre Harry (Lars Ekborg), du même âge et de la même condition modeste que lui. Vibrant du même désir et de l’envie de fuir cette société morne et contraignante des adultes, ils prennent tous deux le bateau pour un rivage sauvage, le temps d’un été. L’échappée amoureuse est le versant lumineux du film qui connaîtra ensuite un dénouement plus sombre, plus cruel. Après le temps des sens et de l’insouciance, celui de la désillusion entre deux êtres qui ne partageront plus les mêmes aspirations. Monika est une jeune femme sensuelle, dominée par ses rêves et ses désirs (elle entraîne Harry au cinéma), qui veut prolonger l’été le plus possible. Harry, moins fougueux que sa compagne, reprend un travail, des cours du soir et économise pour garantir au couple des jours meilleurs.

D’une grande audace

Avant Monika, associer le cinéma de Bergman avec la sensualité m’aurait paru incongru, à tort. Or, ce film  de 1952 est une célébration de la beauté et du corps épanoui d’Harriet Andersson. Je ne vois pas d’équivalent érotique dans les cinémas français, italiens ou américains – on parle des années 50, période assez prude. Le corps de Monika est exposé dans sa nudité spontanée et dans sa sensualité débordante, au cours d’une séquence « naturiste » qui a dû faire frémir les censeurs. Bergman filme en gros plan le visage de Harry couché sur le rivage, près de son bateau. Monika est entièrement nue et son pied se pose à quelques centimètres de la tête de son amant. On devine dans les yeux du jeune homme la vision délicieuse de la jeune femme passant au-dessus de lui, nimbée par le soleil. Pour 1952, c’est d’une grande audace qui surprend encore aujourd’hui !

C’est grâce à des films comme Monika, à la Nouvelle Vague et au Néo-réalisme italien que les réalisateurs du nouvel Hollywood  ont pu libérer le cinéma américain de ses carcans pudibonds. Au contact des films européens, ils ont appris à rendre leurs personnages plus naturels, plus sensuels. Néanmoins, même si son film est chargé de sensualité, Bergman n’est pas Russ Meyer. Monika est le portrait psychologique d’une jeune femme de condition modeste qui veut vivre et être libre. En termes crus : Monika veut sortir, aimer, baiser. Une nature entière, pleine de vitalité ne peut s’accorder avec la prudence, l’économie, la pusillanimité. Le personnage de Monika est moderne dans sa volonté irrépressible de privilégier ses désirs. Une femme nourrie aussi d’illusions, rêvant aux comédies romantiques d’Hollywood et aux lumières des dancings. Harriet Andersson compose un personnage spontané, entier et sauvage dont Bergman n’oublie pas de rappeler l’origine. Monika a faim des plaisirs réservés aux bourgeois, comme dans la séquence (audacieuse encore une fois) du vol du gigot. Le portrait de la jeune fille est lucide : au prix de sa liberté Monika se montrera égoïste et cruelle. Le choix est laissé au spectateur de la condamner ou de la comprendre, aucun jugement ne lui est imposé.

Regard cru et bienveillant

Le film rappelle les œuvres du néo-réalisme italien en évoquant avec naturel la condition du prolétariat suédois. Il décrit la vie quotidienne des gens modestes dans ses détails les plus signifiants. Les jeunes travailleurs se font exploiter par des patrons obtus. Les jeunes femmes se font mettre des mains aux fesses. Bergman filme les rapports sociaux, les gestes, les paroles d’un regard à la fois cru et bienveillant. Il compose des plans qui rendent toute la vitalité de ce petit peuple. Il se passe constamment quelque chose dans l’appartement modeste de Monika et dans la cour de son immeuble. Ses frères qui jouent, son père ivrogne qui passe de la joie aux gifles, des musiciens dans la cour, un jeune homme un peu voyou qui drague Monika et jalouse Harry. La violence plane entre les êtres et dans les rapports sociaux.

Capable de saisir des scènes de groupe, il sait aussi focaliser son regard sur l’intimité de ses personnages. Il utilise merveilleusement le gros plan en clair-obscur, la lumière sur le visage d’Harry qui se tourne soudain pour nous dévoiler la trace d’un baiser sur la joue. Les visages d’Harry et Monika émeuvent en gros plan avant que le cadre s’élargisse. On les croyait lovés l’un contre l’autre dans une chambre, ils sont sur un banc en plein air. Merveilleuse vision d’amour.

Voilà donc quatre ans avant le très moyen Et Dieu… créa la femme de Vadim, dix ans avant Jules et Jim de Truffaut un film très audacieux pour son temps et qui n’a pas vieilli. Une œuvre sensuelle, émouvante et cruelle qui constitue une porte d’entrée idéale dans l’œuvre d’Ingmar Bergman.

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