John Huston
Barbara (Mathieu Amalric)
Alors Barbara de Mathieu Amalric, biopic, pas biopic, anti-biopic ? Un peu de tout ça en fait. Le cinéma contemporain est tellement plein de films biographiques de toute sorte et de qualité variable qu’on se demande si cette mode ne traduit pas un vrai manque de créativité. Après, le genre connaît des ratés et de franches réussites. Le Snowden d’Oliver Stone par exemple, d’un ennui ! Jackie de Pablo Larrain, un film marquant. On pourrait remonter au splendide Mishima : A life in four chapters de Paul Schrader, qui dialogue avec l’œuvre de l’écrivain japonais. J’avancerais que « biopic » est devenu dans la bouche des critiques un terme quasi péjoratif désignant les bios bateau à tendance hagiographique, donc quand c’est réussi c’est forcément autre chose qu’un biopic…
Célébration de Jeanne Balibar
Avec Barbara, l’acteur-réalisateur Amalric propose quelque chose d’original à défaut d’être génial – on y reviendra. Il se met en scène dans le rôle d’Yves Zand, réalisant un biopic sur la chanteuse. Il propose le rôle à Brigitte, une grande actrice jouée par Jeanne Balibar, qui progressivement se fond dans le personnage, devient l’artiste, dans un habile trompe-l’œil pour le spectateur qui ne sait plus qui il voit entre l’interprète et son modèle. Barbara ne manque pas d’idées pour jouer avec l’œil du spectateur. Un plan c’est la vraie qu’on voit, un autre c’est Jeanne Balibar et on s’y trompe souvent. Quand arrive Aurore Clément dans le rôle de la mère, cela démarre comme un film classique puis l’équipe de tournage surgit à un moment inattendu. Le voile de l’illusion disparaît. L’actrice est comme une magicienne qui a fait vivre devant nous un personnage. Le réalisateur est un maître de jeu qui distribue les cartes de l’illusion. Le film ne raconte rien d’autre que cette incarnation plus vraie que vraie, si vertigineuse qu’elle sidère Amalric-Zand. Le réalisateur se saisit lui-même à plusieurs reprises dans une expression bouche-bée, admirative qui si elle paraît sincère est assez répétitive. Barbara célèbre de manière poétique la puissance d’incarnation des acteurs et actrices et entre tous, celle de Jeanne Balibar, fascinante. Amalric la regarde sans doute avec l’affection de quelqu’un qui l’a connue – ils ont été en couple. Barbara est plus un film sur l’actrice que sur la chanteuse légendaire. Le film capte d’ailleurs à de nombreuses reprises ses répétitions, ses gestes pour devenir l’autre.
Manque de tensions
La mise en abyme du biopic opérée par le film distille quelques éléments biographiques. Des fragments de la chanteuse nous sont donnés, épars. A nous ensuite de nous intéresser à elle, d’aller plus loin, de découvrir sa musique. Malgré l’aura poétique de Barbara, quelque chose ne fonctionne pas dans le film. Amalric a des idées intéressantes mais son travail de cinéaste est limité. La photographie est jolie mais la caméra est figée. Aucun mouvement, aucun travelling alors qu’on évoque une artiste de scène qui crée de l’excitation et de la vénération autour d’elle. Le film n’est expressif que par son actrice et par la musique de Barbara. Une fois qu’on a compris le jeu et les procédés du réalisateur pour créer puis dévoiler l’illusion entre cinéma et réel, on s’ennuie. Quand il n’est pas bouche-bée et qu’il n’a pas grand-chose à raconter, il filme la chanteuse au piano, avec une belle lumière, et se contente d’attendre la grâce à venir. Tout à son exercice d’admiration, Amalric n’a pas créé de tensions. On a l’impression que Balibar a endossé le rôle sans véritable accroc. Ce qui manque à côté de la célébration de l’actrice, c’est le travail du metteur en scène. Un travail ingrat, dur, destructeur pour les acteurs. Pour ma part, j’aurais aimé que soit mise en scène cette tension créatrice qui peut exister entre les deux pour réussir une incarnation qui ne va pas de soi.
S’il est bien joli et poétique, Barbara restera pour moi un film très surfait. La démarche est originale mais à cause de ses limites cinématographiques, le film est loin d’être l’œuvre inoubliable que célèbre la critique.