John Huston
Le vénérable W. (Barbet Schroeder)
En juin 2013, Wirathu, moine bouddhiste très puissant en Birmanie, a fait la couverture du magazine Time en tant que « face of buddhist terror ». D’habitude, terreur et bouddhisme ne sont pas associés mais le vénérable W., comme le titre le documentaire de Barbet Schroeder, est bien l’initiateur de persécutions violentes contre la minorité musulmane des Rohingyas. Il y a un paradoxe saisissant à ce que le porte-parole d’une sagesse et d’un message d’amour soit la cause d’une haine profonde. Le décalage est si puissant et habilement montré qu’on finit par assimiler ce personnage à Hitler ! Les mécanismes destructeurs du racisme peuvent donc se reproduire dans un pays bercé de culture bouddhiste.
le Mal comme inversion généralisée
Wirathu est le propagateur d’une haine virulente contre les musulmans. C’est en multipliant les sources documentaires que Schroeder tente de cerner le mal qu’il représente. Il y a des interviews du moine face caméra et d’autres moines qui témoignent contre lui. Il y a des images du quotidien, couvertes par la voix off fragile de Bulle Ogier, qui extraie le message bouddhiste de son corpus. Des acteurs extérieurs, journalistes ou d’ONG, sont interviewés sur la situation des droits de l’homme. Mais la majorité du contenu provient du mouvement 969 de Wirathu lui-même : prêches, clips, chansons et extraits de pamphlets. Irrigué de ses multiples sources et décliné chronologiquement, le documentaire a une grande valeur didactique. On comprend la puissance du moine, issu de la révolte récente contre le régime militaire. On associe son ascension à ses qualités personnelles et à la prééminence du bouddhisme dans le pays. Wirathu a une position privilégiée pour répandre sa haine: il occupe une fonction sacrée et respectée. Il joue très habilement de son bouddhisme pour inverser les rôles : il ne fait que protéger l’identité birmane contre les agressions d’une communauté « étrangère ». Il se place en soi-disant médiateur pour apaiser les violences qu’il embrase. Par ses procédés narratifs et l’attention qu’il porte aux mots du "vénérable", Barbet Schroeder définit le Mal comme une inversion généralisée. Mal issu d’un discours d’amour protecteur qui se convertit en rejet. Mal issu du dévoiement général des mots. Mal issu enfin de l’inversion des images et des représentations : le drapeau du bouddhisme comme étendard guerrier, la minorité agressée qualifiée d’agresseuse. W. a tout compris du pouvoir des images et le documentaire montre en quoi la propagation maléfique de celles-ci, par des DVD, des autocollants, des pamphlets contribue à ensauvager la situation. Il y a aussi du Goebbels dans cet homme-là.
Nature maléfique
Bien que le film soit parsemé d’images violentes, il y a quelque chose de doux et ouaté qui persiste et qui est très désagréable. La religion, déclinée en sagesse dépassionnée, a une forme trompeuse et un pouvoir d’hypnose. Durant les prêches, pas de mouvements de foule ou de cris, les gens acquiescent mécaniquement aux enseignements du vénérable. On s’agace de cette atmosphère émolliente qui paralyse les sentiments de révolte du spectateur. On aimerait surtout que W. révèle lui-même, par des actes ou des paroles manquées, sa nature maléfique. C’est en toute fin, quand il traite la représentante de l’ONU de « putain » que soudain, W. confirme ce qu’il est : une brute.
Terminons cette critique avec un extrait du Metta Sutta ou sutta de la bienveillance, une vertu que le vénérable W. n’applique malheureusement qu’à sa « race » :
Que tous les êtres soient heureux.
Qu’ils soient en joie et en sûreté.
Toute chose qui est vivante, faible ou forte, élevée
Moyenne ou basse, petite ou grande, visible ou invisible,
Près ou loin, née ou à naître,
Que tous ces êtres soient heureux.
Que nul ne déçoive un autre ni ne méprise aucun être
Si peu que ce soit.
Que nul, par colère ou par haine, ne souhaite du mal à un autre.
Ainsi qu’une mère au péril de sa vie,
surveille et protège son unique enfant,
Ainsi, avec un esprit sans entrave
doit-on chérir toute chose vivante,
aimer le monde en son entier,
Au-dessus, au-dessous, et tout autour, sans limitation
Avec une bonté bienveillante et infinie.