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Voyage à travers le cinéma français (Tavernier)

Bertrand Tavernier n’est pas mon cinéaste préféré mais il est lié à mon passé cinéphile. Voilà un homme qui symbolise l’amour érudit du cinéma. C’était en 2000 ou 2001 et il était venu présenter ça commence aujourd’hui à la cinémathèque royale de Bruxelles. Je me souviens parfaitement de sa grande dégaine, de son strabisme et de sa voix passionnée. Il avait commencé par dire que sa mère était morte ce jour-là puis, comme si sa cinéphilie lui permettait de surpasser de grandes douleurs, il s’était jeté dans la description de films français qui l’avaient marqué. Voyage à travers le cinéma français, documentaire sorti en 2016, est l’aboutissement de sa vie de cinéaste et de cinéphile. Par ses choix bien tranchés, c’est un autoportrait qu’il nous propose pendant 3H12 passionnantes.

Idéal de cinéaste

Né pendant la guerre, le réalisateur du Coup de torchon reprend une citation de Godard qui les décrit tous deux comme des enfants de la Libération et de la Cinémathèque. Il est vrai que dans ces années, le cinéma était le seul divertissement de masse disponible et que les villes regorgeaient de salles aux noms exotiques passant tout et n’importe quoi. On pouvait alors se constituer une cinéphilie hétéroclite faite de nanars et de chefs-d’œuvre. Tavernier avoue avoir eu la chance de découvrir d’abord Jacques Becker, un réalisateur dont il vante la maîtrise technique, la netteté et l’éthique. Se souvenant avec émotion de Casque d’or ou du Trou, on a soudain très envie de découvrir Falbalas, Edouard et Caroline ou Goupi mains rouges dont il montre de nombreux extraits. Au nombre des chocs de cinéma figurent aussi Renoir, notamment pour la Grande illusion et Marcel Carné dont il vante le Jour se lève. De Renoir il loue la fabuleuse direction d’acteurs et la fluidité des mouvements de caméra. De Carné, il vante le sens du cadre et l’infinie capacité de travail. Bien qu’il fasse appel à ses souvenirs et  sa propre biographie, il analyse, décortique, juge autant en réalisateur qu’en spectateur. Il se pose en héritier de maîtres du cinéma dont il admire le travail. Dans un registre plus analytique qu’émotionnel, le documentaire lui permet de décrire son profil idéal de cinéaste : un artiste conciliant éthique du travail, sens du détail, justesse technique, culture encyclopédique et un grand amour des acteurs. Il n’y a pas chez lui de célébration béate du « grand » créateur de formes, être solitaire et supérieur d’où jaillissent des idées géniales. Il rattache systématiquement ses exercices d’admiration à des descriptions techniques et rappelle l’apport des acteurs, des chefs opérateurs ou des compositeurs aux grandes œuvres du cinéma. On retiendra ses admirations pour Maurice Jaubert ou Joseph Kosma dont les partitions originales ont magnifié de nombreux films.

Becker, Melville et Sautet

Il y a des éléments qui interpellent dans ce documentaire. Tavernier n’hésite pas à dissocier l’artiste de l’homme. Il dénonce le caractère versatile et déplorable de Renoir vis-à-vis du régime de Vichy. C’est Gabin qui le dit cruellement : « « Renoir, comme metteur en scène : un génie. Comme homme : une pute ». Il rappelle que Marcel Carné pouvait se montrer complètement obtus dans ses choix d’acteurs et sa lecture des scénarios. Il garde une profonde admiration pour ces artistes mais ce sont trois réalisateurs qui sortent du lot : Becker, Melville et Sautet. Il les admire comme réalisateurs et comme êtres humains. Il a connu les deux derniers et en parle avec émotion. A titre personnel, je lui rends grâce d’évoquer le doulos de Melville, Classe tout risque, Max et les ferrailleurs ou les choses de la vie de Sautet. On pourra s’agacer du peu de cas qu’il accorde à certains. Bresson est à peine mentionné. Demy, Rohmer et Resnais ne sont pas cités. Même s’il confie une admiration pour Godard et convoque Aragon pour célébrer la beauté de Pierrot le Fou ou du Mépris, on devine que Tavernier ne cède pas aux lubies de la Nouvelle Vague. Rappeler le savoir-faire technique de Renoir c’est pour lui contredire les balivernes auxquelles le réalisateur de Toni a donné du crédit. Non Renoir n’était pas un adepte absolu de l’improvisation. Non il ne crachait pas sur le travail en studio. Renoir était un homme extrêmement malin, qui adorait séduire ses admirateurs des Cahiers

Il y a plus de quatre-vingt-dix extraits de films sortis entre les années 30 et les années 70. A côté des grands maîtres de la place a été heureusement laissée pour les « petits » maîtres du cinéma, ceux qui n’ont pas gagné le Panthéon mais dont les films regorgent d’idées et de fulgurances. On parle entre autres de Jean Sacha (Cet homme est dangereux avec Eddie Constantine) ou d’Edmond T. Greville dont Tavernier souligne le talent visionnaire. C'est l'occasion, utile pour tous, de souligner l'importance de la conservation des films et des bande-sons. Le cinéma français: un magnifique patrimoine.

 

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