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I am not your negro (Raoul Peck)

Cette semaine on peut encore aller voir le beau documentaire qu’est I am not your negro de Raoul Peck. Ce film met en image un texte écrit par l’écrivain noir américain James Baldwin, Remember this house, resté inachevé. Il y a recueilli ses souvenirs de grandes figures de la lutte contre la ségrégation des afro-américains, Malcom X, Martin Luther King, Medgar Evers. Dans ce documentaire, il apparaît comme témoin, victime et critique de l’Amérique raciste, celle qu’il a connue mais qui survit aujourd’hui dans toute sa violence. James Baldwin est mort en 1987, un président noir est apparu, comme certains l’avaient annoncé dans les années 60, mais que ce soit à Ferguson aujourd’hui ou à Watts en 1965, rien n'a changé.

Racisme : part pourrie, honteuse

Je ne suis pas votre nègre. C’est horrible comme ce mot « negro » claque et choque dans la bouche de ceux qui en sont victimes, dans toutes les bouches. C’est d’une violence inouïe. Les mots, déclamés dans la version originale par Samuel Jackson, font la musique et la densité de ce film. Il faut ouvrir les oreilles, faire résonner les paroles, se les approprier. Il faut de toute façon lire ce texte qui manie l’ironie, le paradoxe, la complexité. Le point de vue de Baldwin est celui d’un écrivain, dont la subtilité se confronte aux discours plus directs de Malcolm X ou de Luther King. Malcolm X est un leader radical, intransigeant, appelant à la résistance et à la séparation. King est un homme plus pacifique, inscrit dans la résistance non-violente. Ces hommes s’opposent sur les moyens mais leurs combats ne sont pas loin de converger. A leurs manières, ils s'adressent en priorité à la communauté noire américaine. Baldwin, lui, s’adresse aux blancs, ses compatriotes, en tant que citoyen d’un même pays qui réclame qu’on le traite en égal. Baldwin dit une vérité que la majorité n’a pas envie d’entendre. Les noirs sont des victimes historiques du racisme mais les blancs en sont eux-mêmes profondément avilis. Ce racisme, c’est leur part pourrie, honteuse, peureuse qu’ils recouvrent d’un verni de pureté et d’innocence, d'une belle mythologie qui les aveugle. Mais cela ne tient pas et ils le savent.

Gigantesque indifférence

Par les mots de Baldwin, on comprend davantage la souffrance des afro-américains aujourd’hui. On comprend aussi que le racisme se nourrit du déni des racistes. Certes, les afro-américains ont subi dans leur histoire récente les insultes, les brimades, les lynchages  et les meurtres mais le pire demeure cette gigantesque indifférence de la majorité blanche, qui ne comprend pas ce qu’on veut lui dire. Il y a un passage du film où Baldwin relate une rencontre avec Bobby Kennedy, le frère du président. On incite JFK à adresser un geste de solidarité envers la minorité noire. On lui demande d’accompagner une petite fille sur le chemin d’une école blanche, on lui suggère de se mettre à la place de la victime. Bobby ne comprend pas. Le président n’aurait sans doute pas compris non plus. Il y a ensuite un professeur d’université qui dit en substance à Baldwin : « votre sort s’est amélioré et puis maintenant un lettré noir est plus proche d’un lettré blanc que d’un ouvrier noir donc… arrêtez de vous plaindre ». Cet homme ne comprend pas non plus. Déni. Mensonge. Minimisation. Dans un passage à l’ironie bien appuyée, illustrée par les images de la société de consommation, les mots percutent la surface heureuse mais factice de l’Amérique prospère, un pays plus apte à créer de la richesse que du lien entre les gens. Un pays d’handicapés affectifs, dit l’écrivain.

Critique du cinéma par un cinéaste

Je connais Raoul Peck pour un très bon téléfilm, l’école du pouvoir, racontant les tribulations d’un groupe de jeunes énarques sous Mitterrand. Je devine à sa filmographie une attirance pour l’histoire des luttes politiques. Son film montre une grande méticulosité dans le choix des images et se regarde comme une critique radicale de celles-ci. Pas de sensationnel ou d'effets choc dans les photos, qui viendraient perturber les mots. De plus, Peck se met à distance de l’industrie du divertissement auquel les afro-américains ont participé. Ne pas résumer cette minorité à ces productions culturelles, objet de fierté mais aussi de caricatures. Baldwin a souffert dans sa jeunesse de la représentation des hommes noirs dans le cinéma. De la part d’un cinéaste il y a un regard très critique sur le cinéma, sur ce qu’il a produit de stéréotypes et déformations du réel. Baldwin adorait le cinéma mais Hollywood, productrice toute-puissante de représentations, a contribué au maintien du rapport problématique entre races. Avant les années 60, les personnages noirs étaient minorés ou ridiculisés. Avec Devine qui vient dîner ? La chaîne, Dans la chaleur de la nuit : le cinéma « progressiste » propose en Sidney Poitier un homme noir acceptable, consentant à ne pas trop malmener les blancs. Comme s’il fallait continuer, comme toujours, à ménager les dominants.

I am not your negro est un essai documentaire à méditer. James Baldwin nous enjoint sans haine de quitter nos privilèges de race pour se mettre à la place des victimes. Il nous demande de préférer le réel aux mythologies qui aveuglent. C’est un effort à accomplir.

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