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Le roi de coeur de Philippe de Broca

A sa sortie en 1966, Le roi de cœur de Philippe de Broca, a pâti d’une mauvaise promotion et a raté le succès en France. La veuve du réalisateur en témoigne dans les suppléments de la version DVD restaurée en 4K qui sort ce 24 janvier. L’étonnant de l’affaire est que ce film coproduit par les américains de la United artists est rapidement devenu culte aux Etats-Unis. Alors qu’en France on ne jure, à juste titre que par L’homme de Rio ou Les tribulations d’un chinois en Chine, jetons un œil circonspect à cet objet « culte » qui aurait été maltraité par la critique de l’époque. Faut-il le réhabiliter ou du moins lui accorder la place qu’il mérite dans la belle filmographie de M. de Broca ?

La réponse est positive. Fantaisiste, gracieux, charmant, tel est ce roi de cœur construit sur un scénario et un registre si originaux qu’ils auraient pu mener à un ratage complet. Guerre 14-18 dans la petite ville nordiste de Marville. Les allemands en retraite laissent de quoi faire tout sauter en attendant l’arrivée des troupes anglaises. Prévenus par un résistant, les britanniques envoient le soldat Plumpick (Alan Bates) désamorcer les bombes. Le gentil troufion se retrouve dans l’asile d’aliénés, dont les pensionnaires le désignent comme le roi de cœur. La ville ayant été abandonnée par sa population, les (doux) dingues l’envahissent… Un monde marqué par le plaisir et la farce se recrée. La fantaisie s’invite et phagocyte le film de guerre, qui n’en est plus un.

Un temps passé et suspendu

Les premières images sont celles d’un mécanisme d’horloge. Le temps est primordial dans le roi de cœur. Il y a le temps de la guerre, implacable, qui doit mener à l’explosion de la ville. La course contre la montre est l’expression du conflit entre des belligérants que de Broca renvoie dos-à-dos. Chaque camp est décrit par séquences quasi identiques. Les acteurs sont dirigés à dessein de manière mécanique et clownesque. Les allemands marchent au pas de l’oie, les anglais trottent mais c’est la même logique qui meut les corps, celle d’une guerre absurde dirigée par des officiers bornés et idiots où chaque soldat fonce tête baissée sans comprendre ce qu’il fait. En opposition à celle de la guerre, il y a une autre temporalité, libérée par Plumpick, celle des « fous » qui réinvestissent la ville en dansant. « je veux vivre dans l’instant » dit Madame Eglantine jouée par Micheline Presle. Cet instant recréé est un temps passé, celui de la Belle époque où s’ébrouent gaiement des personnages inventés : un duc (Jean-Claude Brialy), un coiffeur efféminé (Michel Serrault), un général Géranium (Pierre Brasseur), Coquelicot la prostituée funambule (Geneviève Bujold). La libération des aliénés est le plus beau moment du film. De la porte de l’asile, chacun s’échappe, accompagné par la partition de George Delerue, pour rejoindre son déguisement d’époque. C’est filmé avec mouvement comme un ballet ou une revue de cirque.

« Les plus beaux voyages se font par la fenêtre »

A l’image de Coquelicot, le film ne dévie jamais de sa grâce funambulesque. De Broca était un cinéaste du mouvement, comme Jean-Paul Rappeneau. Il savait que le rythme ne peut s’encombrer, comme pour trop de comédies contemporaines, de discours et de leçons de morale. Oui la guerre, c’est horrible et il vaut mieux le dire en se servant des corps des acteurs. De grandes stars du cinéma français se meuvent donc en une farandole pleine de grâce qui emporte le soldat Plumpick loin de la guerre. C’est un geste proustien de recherche d’un temps perdu que de Broca met en scène. Avant cette guerre, il y a eu un autre temps. Temps de paix, temps de plaisir et temps d’amour symbolisé par le personnage de Coquelicot – je n’avais jamais vu Geneviève Bujold, qui a joué chez De Palma et Cronenberg, aussi juvénile et gracieuse que dans ce film. Les « fous » ne sont pas ceux qu’on croit. Les véritables fous sont ceux qui ont oublié ce qu’il y avait avant la guerre. Nos « aliénés » le disent en regardant le paysage dévasté qui entoure Marville, il vaut mieux rester à l’intérieur que de rejoindre le monde extérieur. Mieux vaut rester dans sa bulle. Cette bulle est aussi celle du cinéma que de Broca célèbre comme un art forain, un art de clowns et de danseurs. Ce n’est pas un hasard si le film commence par un carton de film muet et se termine par les paroles de Jean-Claude Brialy « les plus beaux voyages se font par la fenêtre ». Celle, évidemment, du septième art.


Edition Prestige

Restauré pour L’atelier d’images

Sortie en version DVD / Blu-ray le 24 janvier 2017

Sortie en salle le 25 janvier 2017

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