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Juste la fin du monde (Dolan): juste émouvant

J’avais des craintes concernant Juste la fin du monde de Xavier Dolan. Avant sa sortie en salles et à Cannes cette année, on parlait de dialogues hystériques, de sur-jeu, d’huis-clos artificiel. J’ai vu un film très touchant qui tire indubitablement sa force de sa troupe d’acteurs et de son texte. Je ne connais pas Jean-Luc Lagarce, dramaturge français mort en 1995, mais en lisant la chronique wikipedia qui lui est consacrée, je vois quelle matière première Dolan a exploité, non pas une satire premier degré de la famille mais un travail sur la parole, qui à force de se chercher et de se reformuler, creuse son propre trou et s’enterre. La parole ici souligne davantage les distances entre les êtres qu’elle ne les rapproche.

Passionnante matière que la parole

Par la voix off de Louis (Gaspard Ulliel) nous est révélé dès le début du film le drame du personnage. Il va mourir et souhaite l’annoncer à sa famille pas vue depuis 12 ans. A la maison, dans la campagne canadienne, l’attendent sa mère (Nathalie Baye peinturlurée), Antoine son frère aîné (Vincent Cassel l’hétéro-beauf à cran), Suzanne sa sœur paumée (Léa Seydoux en crise d’ado) et sa belle-sœur Catherine (Marion Cotillard en godiche). Tous les personnages sont caractérisés à outrance, individualisés, singularisés et enfermés dans autant de gros plans faciaux. Chacun est prisonnier de son cadre et parle pour lui-même. La mise en condition du spectateur est d’autant plus pesante qu’au flot de parole de sa sœur ou de sa belle-sœur, Louis répond par des phrases courtes et gênées. Sa mère lui dit « c’est bien toi, toujours des réponses en trois mots » et quelque chose de très pesant attrape le spectateur. Gros plans sur l’horloge de la maison, le temps familial est un supplice mais Xavier Dolan réussit à créer des ouvertures, une fenêtre, un flash-back ou un plan large qui permettent de sortir de la logique solitaire dans laquelle chaque personnage est enfermé. Le spectateur peut respirer par intermittences tandis que le dialogue s’étire, se corrige, se reformule. Passionnante matière que cette parole qui tout en créant les questions et les réponses entretient le suspense et reporte à plus tard la révélation de Louis. Suzanne s’interroge : y a-t-il eu un traumatisme ou un drame passé dans sa famille ? Même pas, il n’y a pas de grosse intrigue souterraine, on n’est pas dans Festen. Le drame malgré les mots à foison, c’est l’incapacité à écouter et à dire vraiment les choses. Chacun a sa tactique pour esquiver la vérité. La mère, comme toute bonne mère, assigne un rôle à chacun des enfants et reste immuable. Le frère utilise le sarcasme brutal et la grossièreté. En même temps, plus le dénouement approche, plus la vérité se fait jour. La scène de dispute finale, très lumineuse, donne le sentiment au spectateur qu’ils devinent presque pourquoi leur frère est revenu. Cette scène joliment éclairée baigne dans la précipitation, la panique et les pleurs, comme si Louis devait partir et ne surtout pas dire ce qu’il a à dire.

Condition sexuelle singulière

Il semble réducteur de considérer Juste la fin du monde comme un film sur la famille et son incommunicabilité. Il y a bien sûr des observations drôles et justes sur ces histoires qu’on rabâche en famille, sur les piques qu’on lance l’air de rien. Il y a aussi cette propension insupportable et destructrice des parents à assigner définitivement un caractère ou une place à chaque enfant. Toute personne peut se reconnaître dans ces constats. Le fait que Louis soit homosexuel et qu’il ait quitté un milieu modeste hétérosexuel pour un milieu gay et artiste paraît plus fondamental. Le dialogue souligne à de nombreuses reprises la distance culturelle entre Louis et sa famille, entre l’urbain qu’il est devenu et les provinciaux qu’ils sont. Cette distance s’affiche dans la parole : celle d’Antoine est sans fard, agressive, celle de Louis retenue et implicite. Comme dit Antoine qui lui préfère se taire « pour donner l’exemple aux autres », Louis « se sert des mots pour mieux nous enculer » ! L’homosexualité quant à elle est évoquée dans la discussion avec Catherine sur les enfants et par le flashback sur Pierre Jolicoeur, amant de jeunesse. On ne sait pas si cette condition a généré des drames, ça n’a pas l’air le cas, mais le fait que ce personnage-là ne puisse pas communiquer avec sa famille m’a paru révélateur. Sa condition sexuelle singulière, la distance culturelle, spatiale et temporelle qu’il a mise avec eux le place dans une situation où il lui est particulièrement difficile de partager quelque chose avec sa famille.

Xavier Dolan a ses tics agaçants: figures maternelles bêtasses et maquillées à la truelle, interludes clippés kitsch, propension aux scènes de cris. Choses qui m’avaient plutôt épuisé dans Mommy, qui perdurent dans ce film-là mais contrebalancées par la puissance de certaines scènes (dans la voiture avec Antoine) et par l’extrême douceur de Louis, personnage condamné par la maladie. Malgré ou grâce aux cris et aux numéros d’acteur, le drame silencieux de cet homme au regard bleu et doux, en contrepoint, n’en est que plus émouvant.

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