John Huston
Merci patron! Comédie picarde à l'italienne
C’est l’histoire d’un journaliste engagé à gauche qui aide une famille d’ouvriers dans le besoin à tromper un grand patron en obtenant de lui suffisamment d’argent pour ne pas se faire saisir sa maison. L’histoire est d’autant plus piquante que quelques années auparavant ce grand patron a liquidé l’entreprise qui employaient ces ouvriers. Tout sauf larmoyant, le ton est délibérément corrosif et les situations sont cocasses.
Une comédie italienne ?
Mais ça a tout l’air d’une bonne comédie italienne des années 60 ou 70, ça ! Avec Nino Manfredi dans le rôle de l’ouvrier spolié, Marcelo Mastroianni dans celui du journaliste et Vittorio Gassman dans le rôle du patron hautain et prédateur ? Et non pas du tout ! C’est un documentaire tourné par François Ruffin du journal Fakir et ça se déroule en Picardie. La famille ouvrière s’appelle les Klur et le grand patron en question est Bernard Arnault, homme le plus riche de France. Ruffin est un journaliste qui pointe depuis de nombreuses années déjà les ravages du néolibéralisme sur la classe ouvrière. La grande originalité de son film réside dans son ton très ironique. Ruffin exhibe des t-shirts et casquettes « I love Bernard » et surjoue sans cesse le consensus, la bienveillance vis-à-vis du grand patron. Les effets comiques sont efficaces car révélateurs. Alors qu’il visite avec une syndicaliste CGT les vestiges des usines Boussac fermées par Arnault en 1986, il insiste sur l’humanité du patron de LVMH et sur sa réussite, au point d’agacer la syndicaliste, qui lui parle des suicides provoqués par la liquidation de son entreprise. La méthode fait ses preuves : elle oppose les discours creux entendus quotidiennement à la réalité crue. On peut sans cesse en appeler au dialogue entre ouvriers et patronat, vanter la social-démocratie, il n’empêche que ce capitalisme détruit des vies modestes. On peut aussi vanter l’éclatante réussite du groupe qui a multiplié ses bénéfices depuis les années 80, pendant ce temps-là le nombre de repas distribués par les restos du cœur explosait. Le ton restera rigolard jusqu’au bout mais on aura compris le message : la lutte des classes est toujours engagée et les classes modestes de ce pays en sont les perdantes. Les Klur, qui en sont réduits à manger un bout de pain aux fêtes de Noël en sont un exemple touchant, parmi plein d’autres.
Arme contre les puissants
Merci Patron montre qu’un engagement politique, toujours discutable, peut prendre une forme cinématographique originale et jouissive. J’en appelais à la comédie italienne mais autant dire « comédie picarde » mêlant portrait de gens ordinaires avec l’accent, intrigue implacable et farce qui se termine joyeusement à la plage. Il est quand même question d’un chantage et de la façon dont la famille Klur, en caméra cachée avec l’aide de Ruffin arrive à soutirer de l’argent et un travail à LVMH qui lui a envoyé un émissaire. Si la famille n’obtient pas ce qu’elle veut, elle en appellera aux médias et les événements de prestige de LVMH risquent d’être perturbés par Fakir et par les syndicats. La menace fonctionne pour un groupe du luxe attaché à son image. La caméra cachée est un révélateur puissant de la comédie sociale, elle vaut plus qu’une mise en scène élaborée. Permettant de prendre au piège le groupe et ses émissaires, le fameux « commissaire » puis le secrétaire général du groupe (tiens, un maire socialiste !), elle est une arme contre les puissants. Quand le commissaire dit d’Arnault, « il a quand même un brin d’humanité », la salle de cinéma se marre. Dans un monde où le chat gagne toujours, elle permet aux souris de s’en sortir, exceptionnellement.
Oui, « exceptionnellement ». Le geste de cinéma est gonflé et rare. Un journal modeste et une famille ouvrière mettent à mal l’image d’un groupe gigantesque et de son patron. Il faut quand même le dire : LVMH et ses budgets publicitaires inondent les médias donc il n’est pas si simple d’avoir mis sur le devant de la scène Merci patron ! Il n’est pas si simple non plus de faire émerger un discours de lutte des classes dans l’océan des discours socio-démocrates ou socio-libéraux. Populiste, démagogique, ce film ? Sous influence, on peut un moment le penser mais quand on entend un responsable d’usine Kenzo dire avec le sourire que dès que les salaires de son usine polonaise auront trop augmenté, il délocalisera en Bulgarie, on a compris.