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  • Il était une fois la révolution : hommage nostalgique à Ennio Morricone

    Mes parents n’achetaient pratiquement pas de musique contemporaine, surtout pas de la pop ni du rock mais ils s’étaient offert les bandes originales de quelques films de Sergio Leone, composées par Ennio Morricone. Ils aimaient ces westerns italiens et nous ont transmis ça.  Dans mes souvenirs, ça ne passait que sur FR3 (comme les westerns de la Dernière séance). Quand c’était le mardi soir je pouvais les regarder jusqu’au bout mais un autre jour de la semaine, j’allais me coucher avec la frustration d’un petit quart d’heure de film et j’avais du mal à m’endormir.

    La voix sublime d’Edda dell’orso

    Je me souviens surtout de la pochette avec le pendu d’Il était une fois dans l’Ouest et de James Coburn sur la pochette d’Il était une fois la révolution (1971, en italien Giu la testa). Cette dernière bande originale m’a toujours fait quelque chose. Je l’associe bien sûr à ce film que j’aime mais elle peut s’écouter sans l’image. Le film est picaresque et mélancolique à la fois. Il évoque le dévoiement de la cause révolutionnaire, le fait de rester idéaliste alors que la lutte a été pervertie. Mais comme cette réalité est vue par les yeux d’un péon grossier et naïf (joué par Rod Steiger), il y a aussi beaucoup de moments truculents. La bande originale enchaîne donc les orchestrations solennelles, les plages mélancoliques et les tableaux fantaisistes. Giu la testa commence sur un ton grave et orchestrale, introduit par un thème sifflé le personnage de Sean (James Coburn) puis nous engloutit dans la mélancolie avec la voix sublime d’Edda dell’orso qui résume à elle seule la tristesse épique du film. Les thèmes développés dès l’entame reviennent mais l’instrumentation varie les plaisirs, passant sans cesse du léger au grandiloquent, du bouffon mexicain au mélancolique irlandais. Le film raconte l’épopée de personnages naïfs ou idéalistes pris dans le vacarme de l’Histoire. De multiples instruments visitent les mêmes phrases, alternant le grave (l’Histoire) et le léger (l’humain) comme dans le théâtral Marcia degli accatoni où se succèdent coassements, trompette, xylophone, orgue, cordes et chœurs. Autres moments magiques d’un disque qui s’écoute d’une traite : I figli morti, Scherzi a parte, Invenzione per John, Dopo l’esplosione.

    Voilà, je la trouve magnifique cette bande originale et on n’en fait plus des comme ça, sauf peut-être par clin d’œil post-moderne au western spaghetti. Il y a le kitsch des « Sean / Sean » qui font très 70s mais pour moi priment l’émotion pure et la nostalgie contenues dans cette musique.

  • Much loved

    Much loved de Nabil Ayouch surprend dès son entame par sa crudité et son approche frontale. On parle de trois prostituées, Noha (Loubna Abidar), Soukaina (Halima Karaouane) et Randa (Asmaa Lazrak) qui se préparent à aller à une fête organisée par des saoudiens. Les mots sont lâchés : « fric », « petite bite », « pouffiasse » etc. et l’une d’entre elles réclame du coca pour soulager son sexe qui risque de saigner. Le langage est cru : le quotidien de ces femmes n’a rien de romantique. Le réalisateur a choisi de nous le décrire sans aucune forme de misérabilisme glauque ou d’esthétisation hypocrite. La fête qui suit est un modèle de sobriété de la part d’Ayouch. Ce qui nous est montré n’est ni excitant, ni répugnant : il filme en équilibre entre deux pôles opposés. La caméra prend la position d’un témoin discret au milieu d’une fête. Des hommes qui ont de l’argent paient pour que des femmes pauvres se trémoussent et leur donnent du plaisir. C’est à la fois réaliste, vulgaire, consternant, ridicule et filmé à bonne distance pour éviter tout clin d’œil complaisant au spectateur.

    Un sujet politique

    Ayouch a probablement su qu’il tenait un sujet politique. Much loved apparaît dans un contexte de réaction islamiste, au sein d’une société fortement conservatrice. Il y a donc quelque chose de revigorant et de brutal à mettre en scène des femmes et des personnages aux marges de la société (il y a aussi des prostitués travestis) qui parlent de sexe et de dépendance financière aussi franchement. Comme elles le disent aux saoudiens, elles sont le pétrole du Maroc, ce sont elles qui rapportent du fric et elles n’en ont aucune honte. Quand elles rentrent de leurs fêtes en voiture, elles voient la réalité marocaine, celle d’une société pauvre et triste. Elles reversent à leurs proches qui bien sûr les condamnent mais acceptent l'argent. Elles vendent leurs corps à des étrangers, arabes du Golfe ou européens et cela résonne comme un symbole de la dépendance économique du Maroc et de ses habitants. On ne s’étonnera donc pas que le film ait été si mal reçu là-bas: le réalisateur a été menacé. Rehaussé par l’excellence de ses actrices (surtout Loubna Abidar), le film montre là son côté le plus intéressant. Il a même l’avantage de nous rappeler que le monde arabe n’est pas ce monde prude et pudibond que notre regard a fini par reconstruire, comme un contrecoup de l’islamisme. Les trésors du patrimoine littéraire arabe regorgent de textes érotiques mettant en scène  des sexualités débridées, ne l’oublions pas. C’est peut-être le sens de cette belle scène où le saoudien Ahmad récite un poème d’amour à Soukaïna. Cette culture a célébré la sensualité, n’en déplaise aux censeurs actuels.

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    Un romanesque sacrifié

    Hélas, Much loved n’est pas à la hauteur de son discours politique. Il a d’abord un problème de rythme. N’étant pas nourri de suffisamment d’aliments dramatiques, il alterne de façon monotone les séquences festives et le quotidien des prostituées. Il a tendance à se répéter, c’est flagrant. Ensuite, mettre en scène trois personnages puis un quatrième – Hlima la campagnarde – finit par peser sur les épaules du scénario. Le personnage de Randa est le moins réussi. Elle souhaite rejoindre son père en Espagne et elle a des tendances lesbiennes. Pourquoi pas mais Much loved n’a pas le temps de développer ce personnage, qui apparaît un peu superflu. En voulant développer chacune de ses figures comme un symbole des maux du pays, le film sacrifie le romanesque. Tout ce que nous voyons à l’écran est typique du cinéma sur les prostituées. Je pense surtout au magnifique Les nuits de Cabiria de Fellini. Comme dans ce chef d’œuvre de 1957, Much loved expose les thèmes du besoin d’amour des prostituées, de leurs superstitions, du rejet par leurs proches et de la violence qu’elles subissent des hommes. Mais il fait preuve de beaucoup moins d’originalité dans le récit que le film italien alors que l’interprétation de Loubna Abidar est pratiquement aussi bonne que celle de Giulietta Masina. La relation entre Noha et le client français qui lui déclare son amour n’est pas exploitée comme élément dramaturgique. C’est dommage. La relation de Noha avec sa sœur qui semble prendre le même chemin qu’elle n’est pas non plus approfondie. Encore dommage. Et que dire du personnage de Saïd, leur accompagnateur : qui est-il ? que pense-t-il ? Nous ne le saurons pas.

    Rien de tel néanmoins que la figure de la prostituée pour dire les maux d’une société en souffrance. Du jeune homme sans le sous au millionnaire, en passant par le vendeur de fruits, la putain a une fonction centrale qui la fait côtoyer et juger avec lucidité toutes les couches de la société. On ne pourra pas enlever cela à Much loved et à ses courageuses et formidables actrices qui même mauvaises n’auraient mérité de telles réactions de haine.

  • The program: tout ce que vous savez déjà sur Amstrong

    Il y a peu de choses enthousiastes à dire sur the Program de Stephen Frears. A travers l’ascension du champion cycliste Lance Armstrong nous est racontée la construction de sa célébrité, concomitante à la mise en place du système de dopage ayant décuplé ses performances. Tiré du livre d’un journaliste irlandais qui a deviné très tôt la tricherie, il déroule linéairement les étapes attendues de ce type d’exercice : ascension / gloire / chute.

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    Un film wikipedia

    The program s’appuie sur un acteur convaincant, Ben Foster, jouant un Lance Amstrong ambitieux, sans scrupule, volontiers manipulateur. Voilà. J’ai vu un film Wikipedia, qui ne m’a rien appris de plus que ce qui est connu du grand public. Je m’intéresse assez peu au cyclisme, un peu au sport en général. Le film est parsemé d’éléments relayés par la presse: la lutte du champion contre le cancer, la puissance marketing de sa fondation, les menaces sur les coureurs qui parlent etc. Le film traite son sujet par étapes rapides, comme une course cycliste en accéléré, et à la fin on n’en sait pas plus sur le personnage. Pourquoi est-il comme ça ? De quoi procède son ambition ? Quel en est l’effet sur ses proches ? On n’en saura rien. Contrairement à un Scorsese qui fouille les névroses de ses personnages, Frears s’arrête à l’apparence. Amstrong s’entraîne à mentir devant le miroir mais jamais le spectateur ne ressent une véritable souffrance dans le personnage, qui semble assez creux. Filmer l’Armstrong intime aurait peut-être permis d’y voir plus clair mais le scénario exclut cette option. Exemple : à l’issue d’une conférence sur sa lutte contre le cancer, il est rejoint par une femme qu’on devine être une attachée de presse. Il lui parle de ses doutes, elle le trouve formidable. La séquence suivante, ils sont mariés. C’est tout. Il y a bien Floyd Landis, l’équipier perclus de remords, qui est le seul personnage réussi du film. Jesse Plemons joue très bien le petit gars du midwest mal à l’aise avec la tromperie.

    Comme devant un Complément d’enquête

    Quant au filmage du vélo, il est tout à fait standard, montage d’images d’actualité et de plans rapprochés sur le coureur. Le cyclisme est une souffrance pour ses pratiquants professionnels. Le dépassement de soi  y est constant, surtout sur le Tour de France. On le sait mais on le ressent peu comme spectateur. Frears est un cinéaste de situations sociales, l’intime n’est pas vraiment son affaire. C’est l’affaire Amstrong, le dopage, les enjeux financiers, l’argent qui intéresse le réalisateur. Soit mais le côté investigation incarné par le journaliste fouineur (Chris O’Dowd) est intéressant mais ne recèle pas de surprises. Le film nous dit que le fameux « program » est un système plus perfectionné qu’avant, on veut bien le croire. On me rétorquera que la thèse du film est centrée sur la construction d’une marque américaine dans le vélo, sport populaire devenu mondial grâce à Amstrong. Encore une fois, ce film dit beaucoup de choses pertinentes mais ne fait pas ressentir grand-chose. Comme devant un Complément d’enquête sur France 2, on s’intéresse et puis on passe à autre chose. The program, film assez superficiel, n’a pas dopé mon intérêt de spectateur.