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  • La loi du marché: édifiant reportage

    Il a les yeux fatigués, le front ridé, le verbe désabusé. Dès les premières secondes, Vincent Lindon incarne son personnage si bien qu’il ne paraît pas jouer. Il se met en colère contre un conseiller de Pôle emploi : Il vient de gaspiller quatre mois de sa vie de chômeur dans une formation inutile de grutier. Lindon s’énerve  sans en faire trop, il est excellent.

    Même système, mêmes procédés

    Voici pour le seul compliment que j’ai envie de faire à La loi du marché. Tout ce qui suit n’est pratiquement plus que répétition du même système et de procédés de mise en scène. Un plan serré, qui glisse lentement de Thierry (Lindon), point d’ancrage de la caméra, vers un interlocuteur ramené ou pas dans le cadre. Un interlocuteur flou, hors-cadre, comme symbole de la perte de liens que subit le chômeur. Chaque scène est la confrontation de Thierry à une situation insupportable. De multiples transactions en sa défaveur lui sont proposées. Il est question à chaque fois de faire perdre à Thierry le peu qu’il a. Un acheteur insiste pour qu’il brade son mobile-home en dessous des prix du marché. Une conseillère de sa banque lui propose de vendre son appartement et de souscrire à une assurance décès, pour « protéger » ses proches. Toutes ces scènes sont cruelles et tendent à la justesse. Toutefois, mises bout à bout elles ne font pas un film mais un reportage édifiant sur la condition de chômeur prolétaire. Il n’y a pas d’histoire ni de personnage dans la Loi du marché. Chaque humain est ramené à un rôle fonctionnel, y compris la femme et le fils handicapé de Thierry dont on n’apprendra pas beaucoup plus que ce qu’ils sont : la femme et le fils handicapé de Thierry. Il manque au film des moments gratuits, qui soient dépourvues de valeur démonstrative. Des moments qui échappent à la loi du marché et ses insupportables transactions. De la vie, en un mot.

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    Attention moment de vérité !

    En contraignant son film au summum de l’authenticité situationnelle, avec à chaque scène un panneau « attention, moment de vérité ! », Brizé ne fait que souligner l’artifice de sa mise en scène. Il n’a pas cru à la puissance de la fiction et des personnages, il se retrouve donc à débiter tous les attendus d’une rédaction sur la condition de chômeur et sur l’enfer du monde du travail. Thierry face à sa banque. Thierry face au regard culpabilisateur des autres. Thierry face à l’absurdité managériale dans une grande surface. On me rétorquera que Brizé est allé chercher du côté du documentaire. Si c’est le cas, il n’avait pas besoin de Lindon et pouvait la chercher à travers différents portraits de travailleurs précaires. Le documentaire n’empêche d’ailleurs nullement d’écrire des personnages.

    On peut concevoir ce film comme un équivalent du livre Le quai de Ouistreham de Florence Aubenas. Un de ces livres-reportage sur la condition précaire, qui avait eu beaucoup de succès. Ce genre de production n’a rien d’infamant, au contraire, on peut être troublé, révolté même par le témoignage de la misère qui écrase les individus. La loi du marché se conformant à ce type de document, il est plus du côté de la production journalistique que du cinéma. Pour s’en convaincre, revoir Rosetta des frères Dardenne, un film qui lui prend vraiment aux tripes.

  • Silicon Valley : we will make the world a better place !

    Pratiquement arrivé au bout de la saison 2 de la série HBO Silicon Valley, j’avoue y prendre un grand plaisir. Ce monde de gourous, de financiers « visionnaires » et de codeurs parlant couramment le java ou le PHP est dépeint avec beaucoup d’humour et de lucidité. La série étant écrite en plus par Mike Judge, inventeur de Beavis & Butthead, on sent une certaine accointance avec la culture de l’entertainment. La saison 1 s’ouvre sur la soirée de lancement d’une start-up qui s’appelle Goolybib, avec comme guest-star Kid Rock, gloire has been de la fusion rap-metal. Un certain sens du ridicule s’installe d’autant que les aspirants milliardaires de l’Internet n’hésitent pas à se poser en bienfaiteurs de l'Humanité, répétant sans convaincre le même slogan, leitmotiv de la série : « (nom de la start-up) will make the world a better place by (pitch marketing) ». La série porte un regard amusé sur cette révolution numérique qui n’est qu’un nouveau nom du capitalisme et une manière de revanche pour des types  collés à leurs ordinateurs 24h sur 24. Eux aussi peuvent devenir très riches, simplement en mettant au point un algorithme révolutionnaire. Monde peuplé de matheux et de techniciens mais hautement irrationnel car derrière ce peuple de geeks, les investisseurs spéculent sur des soi-disant filons, par esprit moutonnier ou parce qu’ils ont des tonnes de fric à écouler. Silicon Valley est bien sûr un divertissement, certainement pas un tract altermondialiste. Néanmoins, la plupart des situations renvoient à l’absurdité qui règne dans cette vallée mythique du rêve américain. Du médecin de la clinique locale, qui propose un suppositoire connecté en bluetooth à votre smartphone (qui vous préviendra si vous allez faire une crise cardiaque !) à l’avocat dilettante qui exhibe sa guitare électrique signée par Larry Page, les personnages secondaires symbolisent la futilité des enjeux de la nouvelle économie.

    Des comédiens qui jouent juste

    Silicon Valley raconte comment le maladroit Richard Hendricks, excellemment joué par Thomas Middleditch, monte sa start-up et rencontre de multiples difficultés pour la rendre viable. On a pu reprocher à cette série sa façon mécanique de déployer sa dramaturgie. En effet, les épisodes reproduisent un schéma: l’équipe rencontre un gros obstacle et parvient à s’en sortir au bout des 27 minutes du format. Ce schématisme s’estompe à la saison 2 dont l’écriture a gagné en qualité et en fluidité. Mais l’intérêt ne réside pas tant dans les rebondissements dramatiques que dans la satire, les dialogues et l’étude des caractères. Je ne connaissais pas un seul des comédiens mais tous, pour la plupart issus de la stand-up comedy jouent juste et sont très drôles : Middleditch bien sûr mais aussi TJ Miller, Zach Woods, Kumail Nanjiani, Martin Starr, Chris Diamantopoulos, Matt Ross. Chacun figure un type de personnage qu’on peut trouver dans la Silicon Valley. TJ Miller joue Erlich Bachman, entrepreneur qui a vendu ses parts dans une startup et joue depuis les investisseurs et les pionniers du web. Ce personnage haut en couleurs et fan de porno a tout du glandeur qui compense son peu d’importance par un sens aigu du baratin. Par contraste, Gavin Belson (Matt Ross), roi de Hooli qu’on devine être une caricature de Google, est un patron « visionnaire » qui conjugue mégalomanie, rapacité et discours new age. Il débite ce genre de niaiserie avec beaucoup de convictions : « Hooli isn't just about software. Hooli... Hooli is about people. Hooli is about innovative technology that makes a difference, transforming the world as we know it, making the world a better place through minimal message-oriented transport layers. I firmly believe we can only achieve greatness if first we achieve goodness.Belson, suivi en permanence par un gourou indien, est une caricature savoureuse de ces nouveaux capitalistes qui dissimulent leur aspiration à la puissance derrière les discours gnangnan et le jargon technologique. Les situations attachés à Belson sont d’autant plus comiques que comme tous ses congénères il est féru de technologies et de gadgets qui ne fonctionnent jamais et le tournent en ridicule.

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    Fucking billionnaires !

    Le capitalisme ancien se retrouve donc derrière le nouveau, qui est paré d’une façade cool et futuriste : les types veulent faire fortune et ne s’encombrent pas trop de remords quant aux moyens d’y arriver. Ils veulent être des « fucking billionnaires ». Arrivant saison 2, le personnage de Russ Hanneman (Chris Diamantopoulos) est hilarant. Il a fait fortune « en mettant la radio sur internet » et depuis se comporte comme n’importe quel nouveau riche du show-business : il est cupide, vulgaire, m’as-tu vu. Il représente une version peu respectable et non refoulée du rêve de fortune de tous les aspirants entrepreneurs. Le fait que la plupart des épisodes se termine par un hip hop gangsta bien senti n’est pas innocent. La façade est peut-être gentille et politiquement correct mais le rêve de tous ces aspirants milliardaires trimant sur leurs ordinateurs n’est-il pas de terminer dans une piscine remplie de cash et de bitches ?