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  • American gangster, polar à la mode tweed et chinchilla

    Avec American gangster, Ridley Scott a voulu réalisé un polar à la manière des années 70. Imaginez : le styliste Ridley Scott s’attaquant à un des genres les plus beaux et sauvages de ces années-là : le polar urbain new yorkais. Bien que le genre ait produit ses rejetons les plus splendides et disgracieux avant l’ère Reagan, je pense à French Connection (Friedkin), Serpico (Lumet), Mean streets et Taxi driver (Scorsese), il a enfanté tardivement quelques superbes monstres comme Bad lieutenant et  King of New York (Ferrara). Voici donc qu’en 2007, Scott, après avoir filmé dans La grande année le Sud de la France comme un décor publicitaire pour l’huile d’olive Puget, s’attaquait à un type de cinéma particulièrement marqué esthétiquement. L’esthétique, au réalisateur anglais, ça le connaît bien, sa filmographie en témoigne et pour American Gangster, il s’est appliqué. Il a filmé un New York esquinté, porté aux gris et aux beiges sombres par le directeur de la photographie Harris Savides (qui a travaillé avec Fincher, Woody Allen et Gus Van Sant). Il a enveloppé ses personnages de tweed et de chinchilla, les a habillé de chemises à cols pelle à tarte, leur a ceint le cou de chaines en or qui brillent, les fait danser sur de la soul. Il fait sortir des téléviseurs des images de la guerre du Vietnam, évoque en passant les droits civils. Il met en scène un thème typique de l'ère Nixon et du film noir en général, celui de la ville minée par le crime et la corruption de ses hommes de loi.

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    Dans American gangster, tout est reconstitué avec luxe et profusion de détails d’époque mais le formalisme poussé du film est stérile, Ridley Scott peinant à donner à ses images violence et « chaleur » documentaire. Sa reconstitution est trop riche, sa vision trop clinquante et froide. On le surprend même à faire du beau, multipliant les ralentis et les travellings classieux, à l’exemple de ces enfants de Harlem arrosés par une borne d’eau, filmés au ralenti. Avec lui de toute façon, même la crasse a quelque chose de propre. Les séquences se déroulant en Thaïlande sont représentatives de son incapacité à filmer le malsain et le sale en général, en particulier l’atmosphère de laisser-aller et de décadence opiacée qui flottait sur l’armée américaine pendant la guerre du Vietnam. Tout semble trop net et trop neutre dans cette évadée asiatique. Il n’est qu’à voir la rencontre dans la jungle qu’effectue Frank Lucas, l’american gangster du film (Denzel Washington), avec un producteur de pavot. On ne sent pas la chaleur étouffante, on n’entend pas de mouches voler sur des visages en sueur, on ne s’inquiète nullement de ce qui peut arriver. Il n’est qu’à comparer cette séquence avec ce qu’a fait Michael Cimino dans l’Année du dragon, où se déroulait également une scène de rencontre avec des narcotrafiquants dans la jungle. On y sentait du danger.

    American Gangster raconte comment Frank Lucas, jusqu’ici chauffeur d’un gros caïd de Harlem, s’enrichit à la mort de son patron en important de l’héroïne grâce aux avions militaires qui font l’aller-retour avec le Vietnam. En contrepoint, le détective Richie Roberts (Russell Crowe) mène l’enquête pour le district attorney de New York. Rien ne vaut une bonne opposition d’acteurs pour illustrer le combat mythique entre le gangster/autodidacte/riche entrepreneur/métaphore du capitalisme américain et l’homme de loi intègre/solitaire/obstiné/qui gagne à la fin. C’est d’ailleurs une nécessité pour Ridley Scott que d’avoir des acteurs confirmés, voire des stars comme Crowe ou Washington, pour transcender les clichés, pour donner du corps et de la profondeur à ses personnages tandis que lui s’occupe de l’image. Comme David Fincher qui a eu besoin d’un Brad Pitt, entre autres, pour donner une plus grande humanité à certaines œuvres particulièrement formelles (Fight Club, Seven, Benjamin Button).

    Au jeu de l’opposition entre les deux acteurs, c’est Russell Crowe qui remporte la victoire. Naturel, décontracté dans son rôle de flic à la ramasse sur le plan familial, il ne donne jamais l’impression de jouer, contrairement à Denzel Washington qui semble, lui, constamment chercher le bon jeu pour son personnage. Le factotum resté longtemps dans l’ombre d’un vieux caïd paranoïaque aurait pu donner un personnage plus complexe que ce qui nous est proposé. Un personnage travaillé par l’ambition, le ressentiment ou la violence. Bien que le scénario en ait fait un homme d’affaire rangé et lisse, en quête d'honorabilité bourgeoise, on ne capte pas de tensions qui travaillent Lucas en profondeur et on a du mal à croire qu’il n’en ressente pas. On n’est pas chez Scorsese, grand créateur de héros névrosés et autodestructeurs. Washington joue de façon trop mécanique sa partition de chef d’entreprise autoritaire qui semble croire à ses principes d’honnêteté et de travail. Son personnage n’est convaincant que par intermittences, quand il se détend et dévoile sa part de cynisme. La violence et le meurtre ne vont pas non plus au sage et lisse Denzel. La scène où il tabasse son cousin n’est pas crédible, il reste figé dans son masque de sang froid, ne choque pas et l’impression de déjà-vu, souvent en mieux (les fureurs de Joe Pesci dans Casino), domine. Sa prestation en demi-teinte et la frustration que l’on peut ressentir à ne croiser que furtivement l’excellent Josh Brolin en flic ripou font d’American Gangster un film décevant malgré son ampleur de saga (2h56). Souvent captivant et agréable à regarder, il manque d’une énergie capable de faire exploser sa belle vitrine formelle.

    Pour sa défense, le film a bien des idées de cinéma et des choses à dire. Ce fameux million de dollars que Roberts a trouvé dans une voiture et qu’il n’a pas voulu prendre, passant ensuite pour une imbécile auprès des autres policiers, questionne de manière narquoise l’intégrité du héros dans un monde dominé par la corruption. La fourrure de chinchilla qui transforme pour une soirée Frank Lucas l’entrepreneur en clone d’Iceberg Slim et le fait repérer par les flics est une bonne trouvaille du scénario. De même l’entrevue avec le mafieux Dominic Cattano, arrive à nous faire rire quand  Armand Assante proclame, engoncé dans le tweed, qu’il est « un homme de la Renaissance ». Enfin, la convergence entre les figures du criminel et de l’entrepreneur américain est finement évoquée. Voir le bon Frank Lucas sermonner ses frères sur l’éthique du travail puis tuer sous leurs yeux et en pleine rue un rival, est assez amusant. Bien qu’il ne soit pas à la hauteur des films de référence du genre et qu’il manque d’une réelle intensité, American gangster cumule donc suffisamment d’idées et de rythme pour faire un bon film.

  • About Schmidt, satire pépère et conventionnelle

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    Retrouver Jack Nicholson m’est toujours réjouissant. Je vis sur des souvenirs de ses meilleurs films. On parle quand même du mec qui a joué dans Cinq pièces faciles, Vol au-dessus d’un nid de coucous, Shining ou plein d’autres œuvres emblématiques des années 70. Une vraie star charismatique doublée d’un acteur électrisant. Un modèle d’homme fragile, sympathique et un peu voyou, maniant l’ironie et la malice, colérique et violent quand on ne s’y attend pas. Un acteur qui peut surjouer allègrement, comme dans The departed mais c’est aussi pour cela qu’on se souvient de ce film, pas le meilleur de Scorsese.

    Mollasson et prévisible

    Alors plein d’enthousiasme je me suis dit qu’il fallait voir About Schmidt (2002), dont la couverture de DVD me faisait de l’œil depuis trop longtemps - elle montre la tête de l’acteur en gros plan, vieilli, mal rasé, l’air vaguement méchant. Long soupir. Cette histoire d’un retraité des assurances qui en même temps que sa femme perd le peu de goût qu’il a à la vie est terriblement mollassonne et prévisible. A l’image de Nicholson qui semble constipé et alourdi de son propre corps, le film se traîne à petite allure, dépourvu d’énergie et de vie.

    Ça commence par un dîner où Warren Schmidt est fêté par ses collègues, après 40 ans de bons et loyaux services aux assurances Woodmen. Son remplaçant, un trentenaire au sourire ultra-brite lui dit qu’il peut revenir au bureau quand il le souhaite, ses conseils seront toujours appréciés. Devinez quoi ? Quelques scènes plus tard, Warren revient au bureau et le jeune successeur l’accueille un peu gêné, n’ayant évidemment plus l'envie d’écouter les conseils de ce prédécesseur qui a fait son temps. La scène se clôt sur la vision des cartons de dossiers de Warren mis au rebut par le jeune connard qui lui a pris sa place. On s’y attendait mais ça ne s’arrête pas là. Warren est désormais coincé à la maison avec son épouse, Helen, avec qui évidemment il n’a pas la moindre envie de passer le temps. Elle ronfle, elle est maniaque et elle collectionne des petits objets kitchs et inutiles. Il ne peut pas la supporter. On s’en serait douté, la vision du couple roulant vers la fête d’adieu nous avait déjà tout fait comprendre. Ils n’avaient rien à se dire. C’est une situation crédible mais qui ne se caractérise pas par son originalité.
    Soudain, Helen meurt et Warren est effondré. S’ensuit une phase où il idéalise la défunte. Attendri il regarde les habits de son épouse, pose un oeil nostalgique sur ses chaussures et, dans une boîte, découvre une correspondance. Evidemment des lettres d’amour de l’amant ! Warren, pas content, va casser la gueule à celui-ci, qui n’est autre que son meilleur ami et ex-collègue.  Il n’en faut pas plus que ces exemples, pris dans la première demi heure du film, pour comprendre que tout est prévisible dans About Schmidt.

    Le film part d’Omaha Nebraska et se retrouve à Denver Colorado. Ce n’est pas qu’une comédie satirique, c’est aussi un roadmovie en plein Midwest, dans cette Amérique plate et endormie où on met des rideaux beigeasses aux fenêtres et où on aime les bibelots moches. Le sens du détail méchant est d’ailleurs la principale réussite du film. Le monotone Midwest est parfait pour brosser des personnages d’imbéciles. Il y a une sorte de fausseté indolore et de conformisme dans l’air qu’Alexander Payne, le réalisateur, capte assez bien. Warren décide de conduire  jusqu’à Denver pour empêcher le mariage de sa fille unique chérie, Janice, avec Randall, un vendeur de waterbeds. Comme on s’y attendait Warren a peu d’estime pour son futur gendre. Il faut dire que Dermot Mulroney joue un gentil plouc barbichu aussi niais que tête à claques. La famille de Randall a le droit au même traitement caricatural : sa mère Roberta (Kathy Bates) est une ancienne hippie encore nymphomane, son frère est un abruti sans consistance et le père, Larry, est un personnage à peine développé. Ce qui manque le plus ici, ce sont des situations qui aillent au-delà des lieux communs et de simples mécaniques satiriques. Ce n’est pas que Payne veuille démontrer que les relations humaines sont impossibles ou stériles, c’est juste que toute possibilité de dialogue véritable est mis hors plan. Alors que le film est marqué par le deuil et l’amertume du retraité, on n’assiste jamais à un échange sincère avec les autres humains. Seuls les lettres qu’il envoie à Ndugu, un orphelin tanzanien révèlent l’homme amer qu’il est devenu. C’est un gimmick que cette histoire d’enfant africain, artificiel certes mais qui a au moins le mérite d’apporter un peu de vérité et, à la fin, un vrai moment d’émotion.

    Comme la carapace d’une tortue

    La misanthropie de Warren est voulue et exploitée à fond par le scénario, ce qui sclérose le film en opposant systématiquement l’amertume du héros à imbécilité du reste de l’humanité. A l’intérieur de ce schéma, Nicholson  reste ce qu’il est : un acteur capable de faire passer beaucoup de sentiments, de la frustration à la colère sourde. Mais il est frustrant de le voir par moment si exsangue, si épuisé. Le plan sur son discours de mariage est terrible. Encombré de son gros ventre, isolé par la caméra, il fait de la peine à voir. Le film pèse sur ses épaules comme la carapace d’une tortue. C’est un roadmovie quand même et durant son parcours, j’aurais aimé non pas que Warren passe de l’amertume à la joie mais que soit organisée une vraie confrontation avec autrui. Que le film, par moments, oublie son train-train et sa mécanique satirique facile et se dévoile, plus vrai, plus humain. Midwest ou pas, il n’y avait pas de raisons à ce qu’About Schmidt ne soit pas simplement surprenant, comme peut l’être l’existence.

    Recadrage

    Dans son livre Le cinéma américain des années 70, Jean-Baptiste Thoret évoquait ce cinéma US qui sortait du cadre, le secouait, le brisait. Les Scorsese, Friedkin, Ashby, Rafelson, Peckinpah mettaient en scène une aspiration à la libération, un trop plein d’énergie et de violence à évacuer. Une nouvelle génération d’acteurs plus libres et moins stéréotypés, comme Hopper, De Niro, Pacino, Dern ou Nicholson prêtaient leur naturel à ces films. 30 ans après, l’acteur le plus emblématique de cette génération est mis sous la camisole d’un film conventionnel et ennuyeux. Ça s’appelle un recadrage, c’est dans l’air du temps et c’est assez triste.

  • Le Samouraï et Collateral, polars habillés

    Voir le Samouraï de Melville (1967), c’est prendre une leçon d’esthétique qui durera une vie de spectateur ou de cinéaste. Le scénario du Samouraï tient en 5 lignes : Jeff Costello (Alain Delon), un mystérieux tueur professionnel, exécute le propriétaire d’un club parisien. Partiellement reconnu lors du meurtre, il est entendu par la Police mais il a un solide alibi : il était avec sa maîtresse à l’heure du crime, ce qu’elle confirme. Malgré l’alibi, la Police le surveille tandis que ses commanditaires prennent peur et veulent s’en débarrasser. Ces 5 lignes pourraient être la description d’un film passable ou médiocre. Elles sont le squelette narratif d’un film mythique.

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    Melville crée une mythologie du tueur. L’assassin professionnel est un héros tragique et romantique auquel le spectateur peut s’identifier. Il pèse sur lui une malédiction, celle de tuer sans se laisser voir, celle d’agir parfaitement. Le tueur ne doit jamais laisser de traces, sinon on pourrait remonter à lui et à ses commanditaires. Son sort est constamment en jeu et s’il veut réussir, il doit être seul. D’où la figure clef du Samouraï, métaphore du guerrier solitaire tenu par l’honneur : « il n’existe pas d’être plus seul au monde que le Samouraï, à part le tigre dans la jungle » dit le Bushido, que Melville cite en introduction. Toute l’esthétique du film consiste à placer dans le costume tragique du tueur solitaire un personnage singulier et mystérieux, du nom de Jeff Costello. Jeff Costello est « un loup solitaire », un professionnel méticuleux, aux gestes maîtrisés. Jeff Costello est beau. Pas seulement parce qu’il a le visage blanc et fin d’Alain Delon, ses yeux clairs, la fragilité virile de l’acteur. Aussi parce qu’il porte l’imperméable et le chapeau à merveille. Jeff Costello ne dit rien ou très peu, en général des phrases qui restent : « Je ne perds jamais, jamais vraiment ». Jeff Costello est aimé des femmes, qui ne le trahissent pas : malgré les pressions de la Police, la belle Jane (Nathalie Delon) refuse de le donner. Jeff Costello est comme ce canari en cage qu’il garde dans sa chambre d’hôtel, seul et vulnérable.

    Melville habille le polar

    Le Samouraï est un écheveau de décors, et de détails qui comptent. La chambre d’hôtel et son canari. La banlieue. Le club de jazz. Le commissariat. La galerie de peintures contemporaines. Le métro parisien. Le chapeau et l’imperméable. Le trousseau de clefs. Le micro. Le téléphone. La carte du métro qui clignote. Melville crée avec une méticulosité et un sens maniaque du détail un univers d’images aussi important que l’intrigue elle-même. La mémoire est alimentée en plans savamment composés qui entretiennent la mythologie du film. C’est d’ailleurs le plus beau compliment qu’on puisse lui faire: longtemps après la vision, l’histoire peut s’effacer mais il en reste beaucoup d’images. Ce serait ma définition du bon cinéma : il laisse des images durablement.

    Melville a habillé le polar moderne pour longtemps. Il est définitivement une affaire de style. C’est une poétique des décors urbains, des nocturnes où se croisent flics, bandits et filles de joie. C’est le concentré visuel d’une ville avec ses couleurs, ses ombres et sa topographie. Comme le Samouraï, les meilleurs polars modernes sont indissociables d’une ville. Bullitt (Yates) et San Francisco. French Connection (Friedkin) et New York. The Killer (Woo) et Hong Kong. Collateral (Mann) et Los Angeles. Des films dont l’impact visuel plus que l’intrigue est prépondérant.

    Michael Mann, une autre poésie urbaine

    Avec Collateral et ses autres films policiers (Heat, Miami Vice, Public Enemies), Michael Mann semble avoir eu des intentions voisines de celles de Melville : créer sa propre poésie urbaine. Les deux cinéastes partagent une même ambition esthétique pour le genre qu’ils aiment. L’Américain apparaît toutefois moins solennel et plus sentimental que le Français. Dans le système hollywoodien, il semble avoir trouvé un style qui le distingue du tout venant commercial. Avec le temps ses films ont des trames narratives de plus en plus minces. Ils se font de plus en plus formels et épurés. L’aspect visuel prend le pas sur la narration, en utilisant les caméras numériques qui réduisent la profondeur de champ et créent autour de l’action un environnement granuleux, brouillé, instable qui convient bien au genre. L’intrigue avec tout ce qu’elle pourrait avoir de laborieux est fluidifiée et réduite au minimum de vraisemblance.

    Collateral est une virée nocturne dans Los Angeles, d’un taximan, Max (Jamie Foxx) pris en otage par un tueur professionnel, Vincent (Tom Cruise), qui a une série d’assassinats à accomplir. Ces meurtres sont commandés par un narcotrafiquant pour échapper à la justice. Mann n’est pas vraiment intéressé par le fond de cette histoire, il a envie de filmer autre chose. Filmer Los Angeles d’abord. En mouvement, sous tous les angles, derrière les vitres du taxi ou en suivant la route, en vue plongeante. Los Angeles est une ville qu’il apprécie en voiture, en écoutant la musique qui sort de l’autoradio. Los Angeles est une ville interminable, une banlieue sans fin, succession de maisons, d’immeubles, de terrains vagues, de hangars et de bretelles d’autoroutes au coin desquels la violence peut surgir à tout moment. Il  s’arrête parfois, dans une boîte de nuit où un club de jazz mais n’y reste pas. Il repart et nous fait voir des choses étranges, comme ces loups qui traversent la rue. Filmer Tom Cruise aussi. Lui donner un vrai rôle, où il puisse être un acteur plutôt qu’une star. Visiblement Mann a compris qu’il pouvait en tirer quelque chose. Le type minutieux, autoritaire, maniaque du contrôle, fasciste qu’est Vincent, c’est Tom Cruise allant chercher en lui les traits plus sombres. C’est une autre définition du tueur, plus dur et moins abstraite que celle de Melville mais elle fonctionne aussi. Comme Jeff Costello, Vincent restera un mystère pour le spectateur.

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    Mann est un sentimental, ses films ne cessent de le confirmer. A la fin de Collateral, Max le taximan sauve de Vincent Annie (Jada Pinkett Smith), l’assistante du procureur qu’il devait assassiner. Il l’avait prise dans son taxi au début du film, il repart avec elle à la fin. L’amour est né dans le taxi, au milieu de ces paysages urbains où les hommes ne font que circuler. Le polar est un prétexte pour trouver l’amour là où il n’est pas censé être, au cœur de la ville violente.