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  • La tête contre les murs, envahi de colombes et de fous

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    « Dans toutes les sociétés du monde, les bêtes féroces on les enferme » En quelques séquences, François Gérane, joué par un juvénile Jean-Pierre Mocky, passe de la liberté à l’enfermement. Il chevauche une moto, rencontre une jolie fille (Anouk Aimée), traîne dans des soirées dansantes puis, ayant une dette à rembourser, il revient chez son père pour le cambrioler. Ce n’est pas une bête féroce mais un jeune homme paumé traversant une forêt enchantée, sombre et lumineuse à la fois, qui se fait piéger par son père, un personnage de juge cruel et mesquin. A la scène suivante, le rebelle se retrouve sur un lit d’asile et ce qui frappe c’est son visage d’enfant, terrifié par ce qu’on lui fait subir. Il passe entre les mains du Docteur Varmont, joué par un Pierre Brasseur glaçant, qui enferme les malades pour protéger la société. A l’image de cette entame, le film sera une plongée dans la France pré-68, celle des jeunes gens désirant vivre, celle des juges, des psychiatres et des curés qui les enferment derrière des murs. Mais pour répondre à ce qu’en dit Jean-Pierre Mocky en interview bonus, ce sera plus qu’un film en forme de commentaire sur « l’état de nos asiles », ce sera un conte de fée malheureux, résonnant du chant des oiseaux, troué de multiple images féériques comme ces figurines païennes que modèlent les fous pour retrouver la raison.

    Comme plus tard Vol au dessus d’un nid de coucous, qui lui aussi dénoncera l’enfermement psychiatrique pour mieux parler d’aspirations à la liberté, La tête contre les murs est un film bien de son époque, d’une époque transitoire, entre les années 50 et 68, où on étouffait, où on se sentait des envies de fuir le monde construit par les adultes. Le monde d’ordre et de cynisme du Dr Varmont et du Juge Gérane dont le dialogue ne cesse de révéler les côtés répugnants : « La société mon petit est essentiellement un jeu » dira le magistrat pour mieux justifier ses bassesses, « Il n’y a que les malades qui rêvent d’évasion. Est-ce que je m’évade, moi ? » S’écrie le psychiatre.

    Bien qu’il soit l’héritier d’un cinéma français classique (on pense à Carné), amoureux des grands comédiens (Brasseur, Meurisse) et de mots d’auteur, ce film n’est plus tout à fait de cette tradition-là. La thèse qu’il défend, la dénonciation d’une psychiatrie inhumaine, il la dépasse sans cesse par une féérie de conte, par la beauté champêtre du décor, le chant des oiseaux, les visages et les jeux de comédiens jeunes et instinctifs comme Aznavour, au style lunaire surprenant. Alors qu’on craignait l’enfer psychiatrique, on se retrouve dans un paradis lumineux envahi de colombes et de fous, surveillé par un ogre (le Dr Varmont).  

    C’est tout récemment que La tête contre les murs a été édité en DVD et c’est une découverte que ce premier long métrage tourné en 1959 par George Franju et scénarisé par Jean-Pierre Mocky. Etrange association de deux réalisateurs dont les œuvres vont fortement se disjoindre.  Mocky sera un réalisateur prolifique, un commentateur social acide, adaptant notamment Frédéric Dard. Franju qui auparavant tournait des documentaires reconnus pour leur réalisme, se dépouillera du coup de gueule à la « Mocky » pour garder de ce premier film la figure imposante de Pierre Brasseur ainsi que le décor maléfique de cette France provinciale qui massacre ses propres enfants. Il en fera l’unique chef d’œuvre du cinéma d’horreur français, le sublime Les yeux sans visage (1960).

  • 24 heures chrono, série électrique

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    Puissance décuplée

    Trois saisons déjà et à chaque épisode regardé, c’est l’électricité qui me parcourt l’échine. 24 heures chrono est pour moi un objet de cinéma à la puissance décuplée par le format télévisuel. 24 heures, 24 épisodes et une multiplicité de comptes à rebours à l’intérieur du grand compte à rebours. Mon Dieu, Jack Bauer arrêtera-t-il la bombe sur Los Angeles ? Arrêterai-je de m’enfiler 4 épisodes à la suite, voire 6 quand je suis en forme ? Vais-je devenir parano à mon tour ?

    Jack Bauer molosse christique qui porte sur les épaules tous les péchés du contre-terrorisme, j’ai toutes les raisons de te détester. Ta paranoïa débordante, ta voix doucement éraillée et ton petit sourire lubrique passant furtivement sur tes lèvres quand il te faut torturer un terroriste ne lassent pas de me crisper. Et pourtant, toi tu fais le sale boulot et à chaque fois tu le paies. Tu perds ta femme dans la première saison, tu coupes à la hache la main de ton futur gendre à la fin de la troisième. Quant aux femmes, catastrophe ! Soit elles te trahissent (Nina Myers !), soit elles disparaissent. Pas de chance Jack ! Mais c’est quand même grâce à toutes ces punitions qu’on peut dire qu’il y a une justice immanente et qu’en fait la série n’est pas si fasciste que ça. Le sale boulot et les choix moraux dégueulasses se paient, finalement, en toute conscience. Les responsabilités sont endossées et sanctionnées. La torture, j’y reviendrai quand même plus loin…

    L’Amérique est en danger et Jack Bauer a 24 heures pour la sauver. Première série en temps réel dit la jaquette du DVD. Temps réel ne veut pas dire temps réaliste. N’importe quel humain soumis aux événements en cascade comme ceux qui s’entrechoquent dans cette série deviendrait fou, drogué ou mourrait d’une crise cardiaque. Jack se shoote à l’héroïne dans la troisième saison, c’est bien la moindre des choses. Tout est porté à l’intensité jusqu’à l’invraisemblable, c’est aussi pour cela que j’aime cette série. Il y a des rebondissements tellement extravagants que je ne peux pas la prendre tout à fait au sérieux. Imaginez le directeur de la CTU (Counter Terrorist Unit) qui se prend une balle en plein cou, est opéré en urgence et quelques heures plus tard, sorti de l’hôpital dirige la traque au virus tandis que sa propre épouse, qui bosse avec lui, est menacée d’un virus mortel puis kidnappée par les terroristes! La mécanique feuilletonesque grossit comme une avalanche au fur et à mesure des épisodes. L’intrigue principale centrée sur la menace terroriste se double ou se triple d’intrigues secondaires haletantes.

    Vision américaine

    On peut compter sur les américains pour faire passer la pilule du réalisme. Le fonctionnement de la CTU, avec ses règles et ses protocoles de sécurité compilés dans des « books » peut sembler à peu près vraisemblable, tout comme l’organisation des agents entre « tactic » (bureau) et « field operations » (action). Pour le reste, on semble loin d’une vision réaliste de l’espionnage et du contre-terrorisme. Prenons une œuvre touchant au même imaginaire, le roman de DOA, Citoyens clandestins (2007), qui est lui-même un objet à suspense très réussi. Il raconte comment des agents des services secrets infiltrés dans les milieux terroristes finissent par déjouer un attentat sur le sol français. Etalée sur plusieurs mois, la traque mobilise des heures de surveillance et de filature, engendre aussi des fausses pistes qui font perdre des jours de travail. Chez DOA, ce sont des hommes de terrain fragiles, faillibles, qui accomplissent une mission de longue haleine. C’est bien leurs capacités à s’infiltrer et à dissimuler leurs failles (les émotions) qui en font des bons espions. L’espionnage est décrit comme un travail ennuyeux, laborieux, faits de rares moments d’action. Tout à son efficacité narrative 24 heures chrono n’est pas du tout habité de la même philosophie,. La série est au contraire traversée d’une défiance envers les humains et d’une croyance absolue dans les possibilités de la technologie. Si le compte à rebours peut sans cesse être vaincu, c’est grâce au super héros solitaire qui brise la règle commune (Bauer) mais aussi parce que la CTU est branchée en quelques cliques sur tous les réseaux mondiaux (bancaires, satellitaires, téléphoniques, vidéosurveillance, bases de données administratives etc.) et que ceux-ci finissent toujours par produire une piste. Pur fantasme américain qu’un monde en ligne, numérisé et vidéosurveillé. Fantasme de toute puissance qui habite l’Amérique, son cinéma d’action et d’espionnage en est rempli, de Conversation secrète de Coppola aux bons navets de Tony Scott, Spy game ou Enemy of the state. On a beau dire que le 11 septembre a pu avoir lieu à cause de la déficience des moyens humains (trop de technologies et pas assez d’espions), ils croient qu’un suivi satellitaire est plus efficace qu’une filature ou qu’une infiltration.

    Ce qui ralentit le contre-terrorisme, c’est l’humain, dissimulateur, taupe, traître, ennemi caché qui a accès au système de l’intérieur. C’est ce qui m’avait sidéré à la vision de la première saison. Tout membre de la CTU est un traître potentiel et chacun a le devoir d’espionner et de révéler les fautes des autres. La CTU est concentrée dans un bâtiment panoptique où le moindre mouvement de cils d’un agent est repérable et suspect. La mise en scène de cette paranoïa est l’un des meilleurs atouts de 24h. Du haut de son bureau on peut  téléphoner à un agent et par la vitre observer sa réaction. L’agent en question peut passer sans transition de son bureau à la salle d’interrogatoire où il sera soumis à la question, dans un mouvement d’une facilité terrifiante.

    Apologie de la torture ?

    C’est le « temps réel » qui permet de justifier l’utilisation de la torture. C’est le temps réel qui est fasciste et c’est en cela que 24 heures est une série perverse dont il ne faut pas accepter toutes les justifications. Oui Jack emploie des moyens dégueulasses, il en est conscient et il paie pour ce qu’il fait. En même temps, les enjeux qui sont posés ne peuvent que justifier la torture : « on a quelques minutes pour déjouer une menace, que faire si ce n’est torturer le seul suspect qu’on ait ? » Il n’y a jamais de réel choix quand des millions d’humains risquent de mourir dans les 24 heures. La seule réponse morale que la série donne est une punition a posteriori, une mise au ban du héros aux mains tachées de sang. Jack Bauer expie pour ses nombreux péchés. Comme tout bon héros américain, il porte sa croix.

    Forces centrifuges

    J’ai parlé d’électricité dans l’échine au début de la chronique. Plus que la torture cette image évoque bien l’excitation que j’ai ressentie au cours de la saison 2 où en même temps que la traque anti-terroriste se jouait la destitution (« impeachment ») du président David Palmer (joué par l’excellent Dennis Haysbert). La série décrit de façon magistrale un pouvoir présidentiel soumis à d’incroyables forces centrifuges capables de le déstabiliser et de le dévoyer. Lobbies, hommes de l’ombre, famille et conseillers, ennemis politiques, tous ont intérêt à manipuler le Président. Ce qui est sans cesse testé c’est la capacité de ce dernier à décider et à agir en conservant une éthique. Vision américaine d’une magistrature suprême qui se doit de rester propre parce qu’elle est confiée par le peuple. En même temps, dans l’ombre et en coulisses du pouvoir s’agitent des hommes moins tenus par les scrupules. Leur statut dans la série est très ambigu, le Président doit être protégé et le moins informé de ce qu’ils font. Mais on comprend qu’ils lui sont indispensables et qu’aux coups tordus qui menacent le Président doivent être opposés des moyens tout aussi déshonorants. Le pouvoir est impitoyable et corrupteur et on ne peut lui opposer qu’une éthique individuelle impossible à tenir. Le Président Palmer apparaît admirable mais pour le moins naïf dans sa rigidité morale et Sherry Palmer, son épouse jouée par la très Lady Macbeth Penny Johnson est là pour le lui rappeler. 

    Après la première trilogie et un sacré shoot de suspense et de paranoïa, je verrais bien la suite. Rien à faire que ce soit la droitière Fox qui produise cette came à la morale toxique mais hautement addictive. 24 heures chrono est rempli à ras-bord de mauvais penchants, tant pis pour les âmes sensibles. « You have no idea how far I'm willing to go to acquire your cooperation », prévient Jack Bauer. Tout est dit.