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About Schmidt, satire pépère et conventionnelle

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Retrouver Jack Nicholson m’est toujours réjouissant. Je vis sur des souvenirs de ses meilleurs films. On parle quand même du mec qui a joué dans Cinq pièces faciles, Vol au-dessus d’un nid de coucous, Shining ou plein d’autres œuvres emblématiques des années 70. Une vraie star charismatique doublée d’un acteur électrisant. Un modèle d’homme fragile, sympathique et un peu voyou, maniant l’ironie et la malice, colérique et violent quand on ne s’y attend pas. Un acteur qui peut surjouer allègrement, comme dans The departed mais c’est aussi pour cela qu’on se souvient de ce film, pas le meilleur de Scorsese.

Mollasson et prévisible

Alors plein d’enthousiasme je me suis dit qu’il fallait voir About Schmidt (2002), dont la couverture de DVD me faisait de l’œil depuis trop longtemps - elle montre la tête de l’acteur en gros plan, vieilli, mal rasé, l’air vaguement méchant. Long soupir. Cette histoire d’un retraité des assurances qui en même temps que sa femme perd le peu de goût qu’il a à la vie est terriblement mollassonne et prévisible. A l’image de Nicholson qui semble constipé et alourdi de son propre corps, le film se traîne à petite allure, dépourvu d’énergie et de vie.

Ça commence par un dîner où Warren Schmidt est fêté par ses collègues, après 40 ans de bons et loyaux services aux assurances Woodmen. Son remplaçant, un trentenaire au sourire ultra-brite lui dit qu’il peut revenir au bureau quand il le souhaite, ses conseils seront toujours appréciés. Devinez quoi ? Quelques scènes plus tard, Warren revient au bureau et le jeune successeur l’accueille un peu gêné, n’ayant évidemment plus l'envie d’écouter les conseils de ce prédécesseur qui a fait son temps. La scène se clôt sur la vision des cartons de dossiers de Warren mis au rebut par le jeune connard qui lui a pris sa place. On s’y attendait mais ça ne s’arrête pas là. Warren est désormais coincé à la maison avec son épouse, Helen, avec qui évidemment il n’a pas la moindre envie de passer le temps. Elle ronfle, elle est maniaque et elle collectionne des petits objets kitchs et inutiles. Il ne peut pas la supporter. On s’en serait douté, la vision du couple roulant vers la fête d’adieu nous avait déjà tout fait comprendre. Ils n’avaient rien à se dire. C’est une situation crédible mais qui ne se caractérise pas par son originalité.
Soudain, Helen meurt et Warren est effondré. S’ensuit une phase où il idéalise la défunte. Attendri il regarde les habits de son épouse, pose un oeil nostalgique sur ses chaussures et, dans une boîte, découvre une correspondance. Evidemment des lettres d’amour de l’amant ! Warren, pas content, va casser la gueule à celui-ci, qui n’est autre que son meilleur ami et ex-collègue.  Il n’en faut pas plus que ces exemples, pris dans la première demi heure du film, pour comprendre que tout est prévisible dans About Schmidt.

Le film part d’Omaha Nebraska et se retrouve à Denver Colorado. Ce n’est pas qu’une comédie satirique, c’est aussi un roadmovie en plein Midwest, dans cette Amérique plate et endormie où on met des rideaux beigeasses aux fenêtres et où on aime les bibelots moches. Le sens du détail méchant est d’ailleurs la principale réussite du film. Le monotone Midwest est parfait pour brosser des personnages d’imbéciles. Il y a une sorte de fausseté indolore et de conformisme dans l’air qu’Alexander Payne, le réalisateur, capte assez bien. Warren décide de conduire  jusqu’à Denver pour empêcher le mariage de sa fille unique chérie, Janice, avec Randall, un vendeur de waterbeds. Comme on s’y attendait Warren a peu d’estime pour son futur gendre. Il faut dire que Dermot Mulroney joue un gentil plouc barbichu aussi niais que tête à claques. La famille de Randall a le droit au même traitement caricatural : sa mère Roberta (Kathy Bates) est une ancienne hippie encore nymphomane, son frère est un abruti sans consistance et le père, Larry, est un personnage à peine développé. Ce qui manque le plus ici, ce sont des situations qui aillent au-delà des lieux communs et de simples mécaniques satiriques. Ce n’est pas que Payne veuille démontrer que les relations humaines sont impossibles ou stériles, c’est juste que toute possibilité de dialogue véritable est mis hors plan. Alors que le film est marqué par le deuil et l’amertume du retraité, on n’assiste jamais à un échange sincère avec les autres humains. Seuls les lettres qu’il envoie à Ndugu, un orphelin tanzanien révèlent l’homme amer qu’il est devenu. C’est un gimmick que cette histoire d’enfant africain, artificiel certes mais qui a au moins le mérite d’apporter un peu de vérité et, à la fin, un vrai moment d’émotion.

Comme la carapace d’une tortue

La misanthropie de Warren est voulue et exploitée à fond par le scénario, ce qui sclérose le film en opposant systématiquement l’amertume du héros à imbécilité du reste de l’humanité. A l’intérieur de ce schéma, Nicholson  reste ce qu’il est : un acteur capable de faire passer beaucoup de sentiments, de la frustration à la colère sourde. Mais il est frustrant de le voir par moment si exsangue, si épuisé. Le plan sur son discours de mariage est terrible. Encombré de son gros ventre, isolé par la caméra, il fait de la peine à voir. Le film pèse sur ses épaules comme la carapace d’une tortue. C’est un roadmovie quand même et durant son parcours, j’aurais aimé non pas que Warren passe de l’amertume à la joie mais que soit organisée une vraie confrontation avec autrui. Que le film, par moments, oublie son train-train et sa mécanique satirique facile et se dévoile, plus vrai, plus humain. Midwest ou pas, il n’y avait pas de raisons à ce qu’About Schmidt ne soit pas simplement surprenant, comme peut l’être l’existence.

Recadrage

Dans son livre Le cinéma américain des années 70, Jean-Baptiste Thoret évoquait ce cinéma US qui sortait du cadre, le secouait, le brisait. Les Scorsese, Friedkin, Ashby, Rafelson, Peckinpah mettaient en scène une aspiration à la libération, un trop plein d’énergie et de violence à évacuer. Une nouvelle génération d’acteurs plus libres et moins stéréotypés, comme Hopper, De Niro, Pacino, Dern ou Nicholson prêtaient leur naturel à ces films. 30 ans après, l’acteur le plus emblématique de cette génération est mis sous la camisole d’un film conventionnel et ennuyeux. Ça s’appelle un recadrage, c’est dans l’air du temps et c’est assez triste.

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