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thomas cailley

  • Le règne animal (Thomas Cailley)

    La chair qui mute, qui dégénère pour le pire, c’est un thème que j’ai découvert à travers le cinéma de Cronenberg. Dans Rage (1977), une greffe de peau échoue et crée sur le corps d’une femme accidentée un dard assoiffé de sang. Dans la Mouche (1986), le code génétique d’un scientifique fusionne avec celui d’une mouche, provoquant sa longue agonie. La science transforme les corps en un autre chose qui s’apparente au monstrueux. L’humanité pénétrée de technologie accélère la catastrophe de sa propre chute. Dans Le règne animal de Thomas Cailley, remarqué pour l’excellent les combattants (2014), le thème de la transformation est traité de manière plus terre-à-terre et moins tragique que le cinéma glacial de Cronenberg. Centré sur un noyau familial auquel on peut s’identifier facilement (un père et son fils voient leur mère se transformer en animal), il tire son succès (plus de 600,000 entrées en salle) de sa proximité avec le spectateur: nous raconter quelque chose d’inquiétant, tout en utilisant les codes du film de genre (teen-movie, fantastique), de manière positive.

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  • les combattants: survivre mais à quoi?

     

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    Si je dis que Les combattants, premier film de Thomas Cailley, traite de la jeunesse, on va me lire d’un air un peu las. Que va-t-on encore nous sortir ? Un film naturaliste sur la difficulté du jeune à intégrer le monde du travail ? Un drame sur la jeunesse perdue des quartiers pavillonnaires, entre vacuité, sexe et violence ? Une passion violente sur fond de quête d’identité sexuelle, façon La vie d’Adèle ? Dans l’absolu, tous ces sujets sont légitimes. Simplement, on a envie aussi d’un peu de légèreté et d’originalité et Les combattants y parvient par une aptitude à développer ses personnages sans esprit de sérieux.

    Les épreuves, le rite de passage

    On est sur une côte ensoleillée de l’Ouest de la France. Arnaud (Kevin Azaïs) est un jeune charpentier un peu mou qui au cours d’une tournée de recrutement de l’Armée rencontre Madeleine (Adèle Haenel), une bourgeoise garçon manqué qui se prépare à la survie en milieu hostile. Une relation indéfinissable se noue entre eux pendant un stage commando parachutiste. La relation est d’autant plus floue qu’elle passe par une inversion des rôles : il est aussi doux et indécis qu’elle est brutale et fonceuse. Le jeu physique d’Adèle Haenel est impressionnant. Elle a le verbe sec, un regard à vous envoyer des mandales. En même temps, on devine l’effort qu’elle met à ne pas être prise en défaut, la petite fissure dans l’armure. Que réclame-t-elle pour elle-même et pour sa génération ? Les épreuves, le rite de passage, tout ce qui semble manquer à la jeunesse d’aujourd’hui, engourdie par le chômage et le confort matériel. Dans ce contexte, l’Armée propose ce qui manque le plus aux jeunes : l’aventure, le combat physique, la nature. Sauf que le portrait qui en est fait invalide la transformation du film en initiation guerrière forgeant le caractère et la fraternité.

    Démerde-toi !

    Pris au premier degré, le passage à l’Armée ressemble à une moquerie facile de cette institution - souvent caricaturale. Pourtant, que Madeleine se plaigne du confort des lits ou des repas copieux (steak frites flanby), elle déplore avant tout le dévoiement de l’Armée, sa conversion en une entreprise comme une autre. L’Armée n’est-elle pas le premier recruteur aujourd’hui en France ? Non elle est le deuxième derrière McDonald’s, fait-on remarquer. Convertie au marketing pour rameuter des jeunes, elle ne se distingue pas fondamentalement du roi du fast-food. Dispensant des conseils absurdes ou faisant semblant de transmettre des valeurs, les militaires du film ne sont pas plus intéressants que des formateurs d’entreprise ou que les adultes en général. Il n’y a pas grand-chose à attendre des générations d’avant, qui semblent dire, même quand elles prodiguent des conseils : « démerde-toi ! ». Madeleine l’a mieux compris qu’Arnaud : elle se prépare à survivre tout court, elle ne sait pas à quoi exactement. La société n’attend rien d’elle, elle doit faire avec. Dans cette optique, apprendre la survie est plus intéressant que poursuivre des études de modélisation économique ou que de construire des cabanes à jardin.

    Définition de l’Amour

    Arnaud et Madeleine quittent le stage commando pour organiser leur propre aventure. En une brusque cassure narrative, le film opère son dernier mouvement : une sorte de Deliverance en forêt landaise où nos deux héros peuvent s’aimer et apprendre la vie par eux-mêmes. On sait depuis le début qu’il va se passer quelque chose entre eux. Après tout, ils ont débuté par un corps à corps, perdu par Arnaud. S’il suit Madeleine, n’est-ce pas pour recréer les conditions d’un contact physique avec elle ? Par son écriture, le film arrive à faire perdurer cette tension entre les deux personnages. Certes, Madeleine ne ménage pas Arnaud mais si elle ne le supportait pas, elle lui aurait sûrement mis un coup de boule ! Dépouillé de son ton moqueur, le film vacille et se cherche quelques minutes mais ne se casse pas la figure. Une définition de l’amour se fait jour au milieu de la nature : prendre un chemin de sortie, se débarrasser des tutelles idiotes, affronter des épreuves ensemble, en tirer ses propres conclusions. L’important ici est de trouver un sens à soi, de s’approprier ce qui vous échappe. Le dialogue final sur les causes de l’incendie de forêt en est la traduction : peu importe que l’explication d’Arnaud soit risible (« des incendies éclatent soudain comme ça, quand la forêt s’est développée au maximum »), l’important y compris aux yeux de son frère est qu’il se soit forgé ses propres convictions. Autrement dit, le combattant est passé du statut de con à celui de battant.