John Huston
Vivarium (Lorcan Finnegan)
Un vivarium est par définition un espace vitré aménagé pour conserver et montrer de petits animaux vivants (insectes, reptiles, etc.) en reconstituant leur milieu naturel. Le vivarium filmé de l’irlandais Lorcan Finnegan s’applique aux humains. C’est un milieu artificiel pourvu de tout ce qu’il faut à une famille pour survivre (nourriture, mobilier, vêtements) mais dont elle ne peut s’échapper. Sans savoir pourquoi, Tom (Jesse Eisenberg) et Gemma (Imogen Poots) se retrouvent prisonniers d’un ensemble pavillonnaire nommé Yonder. Le jeune couple cherchait sa première maison, un étrange agent immobilier les abandonne dans cet endroit à l’aspect artificiel.
Même s’il en a l’esthétique oppressante, Vivarium n’est pas à proprement parlé un thriller horrifique. Lorcan Finnegan nous intéresse plus à la signification du labyrinthe qu’à sa sortie. Une fois Gemma et Tom pris au piège, on assiste à une expérience d’enfermement. Il leur adjoint un étrange enfant, il ouvre quelques pistes (le trou, l’écran, le livre) mais sa mise en scène, en répétant les mêmes motifs circulaires ferme toute possibilité d’évasion. Quel est cet étrange ensemble ? Par qui a-t-il été construit ? Pourquoi sont-ils seuls dans cet ensemble infini ? Le spectateur sera plus enclin à chercher les correspondances avec notre monde qu’à confirmer des explications plausibles. Nulle question de matrice ou de scénario à la Truman Show, ce serait trop simple, Vivarium est un film métaphore.
Le format Blu-Ray nous offre ici une définition d’image et une netteté cohérentes avec le propos. Les lumières artificielles, le ciel peint et les plans créés par ordinateur visent une esthétique publicitaire évidente. A contrario, le son perçant et angoissant porté par la voix de l’enfant, ressortant parfaitement du format, illustre le caractère insupportable de la situation. En créant un monde à la fois idéal, une maison familiale spacieuse et équipée de tout, sous un ciel toujours dégagé, mais reproduite à l’infini comme si elle était le résultat d’un programme informatique, le scénario et la direction artistique décrivent les paradoxes du monde moderne dessiné par le capitalisme. La classe moyenne occidentale a le droit au confort matériel, à la consommation et au soleil radieux d’un monde de plus en plus artificialisé mais elle ne peut plus en sortir. There is no alternative, comme disent certains. Les motifs de l’aliénation contemporaine pèsent sur les individus, réduits à répéter les mêmes gestes et à s’interroger sur le vide de leur existence conformiste. Les humains sont comme ces oiseaux du générique du début : arrachés de leur nid et de leur condition naturelle pour un monde de plus en plus faux et artificiel.
Vivarium avance à un rythme lent en nous épargnant toute outrance ou rebondissement de film hollywoodien, il est très frustrant en ce qu’il refuse constamment d’accélérer son rythme et de nous aider à y voir plus clair. On en sait jamais plus que Gemma et Tom. On fait l’objet du même jeu de fausses pistes et des mêmes agacements que le couple. On éprouve à la fois de l’ennui et l’envie de percer le mystère comme Tom au fond de son trou. Il nous est impossible de décrypter les signes sur l’écran ou dans le livre rapporté à la maison. Tom et Gemma tentent de réagir mais ils sont comme neutralisés par le monde dans lequel ils vivent. Ils ont suffisamment d’énergie pour danser et s’oublier un moment mais peu pour briser leur cage.
On peut dire que Vivarium, sorti avant la mi-mars, est devenu malgré lui un film emblématique du confinement. Le ciel parisien était bleu, le silence avait envahi les rues, on ne pouvait pas sortir, on ne savait pas grand-chose et on se contentait de consommer et de s’occuper bêtement. On pourvoyait à nos besoins sans pouvoir contester quoi que ce soit. On supportait l’existence et le travail tout en s’occupant difficilement des enfants. On acceptait la situation résignés comme le sont Gemma et Tom. C’est aussi cela, le meilleur du cinéma : créer des résonances incroyables avec la réalité.
C’est un film désagréable à dessein, par sa pesanteur assumée, frustrant aussi pour son manque d’élan dramatique. Mais avec son esthétique et son ambiance impeccablement travaillées, Vivarium est une œuvre intrigante et somme toute prophétique. Rejeté ou applaudi comme l'un des meilleurs films de 2020, il est à découvrir.
Disponible en DVD et Blu-Ray depuis le 8 juillet, édité par The Jokers (site de l'éditeur, boutique et page Facebook)