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Guy (Alex Lutz)

Guy ne pouvait que me rebuter.  C’est le projet cinématographique d’un comique, certes talentueux, mais dont on pouvait craindre qu’il serve à accélérer une carrière et une présence médiatique. De plus, c’est le portrait fictif d’un chanteur ringard, croisement entre Herbert Léonard, Dave et Gérard Lenorman. Lutz aborde donc un genre prêtant à la caricature facile, à toutes les moqueries pour le fan de Bowie / Iggy Pop que je suis. Mais ce projet se révèle d’une sincérité et d’une justesse cinématographique qui en font un des bons films français de l’année 2018.

Artiste et homme usé

On parle ici de Guy Jamet, joué par Lutz en personne, ancienne idole des jeunes, converti dans les années 70 en chanteur pour jeunes filles. Au cours d’une tournée, sa brève liaison avec une fan a donné naissance à Gauthier (Tom Dingler), qui n’a pas connu son père.  Le jeune homme se présente à Jamet comme journaliste, en quête de portraits de stars, et le suit caméra au poing. Bien qu'il soit orné de parodies de scopitones d’époque, très crédibles d’ailleurs, le film est d’abord le portrait face caméra d’un artiste et d’un homme usé qui se lance dans une énième tournée. Plutôt que de faire le pari de la reconstitution et du biopic clinquant, comme le Cloclo de Florent Siri, Lutz a choisi un format modeste, intimiste, dévoilant le vieillissement d’une idole. Jamet n’a plus que la nostalgie pour poursuivre sa carrière et personne ne lui cache sa ringardise. Toutefois, l’humour toujours léger montre la tendresse du réalisateur pour la variété française et son ambition dénuée de moquerie.

Lutz est excellent

Il faut admettre la réussite de Guy, qui repose sur deux raisons. L’acteur Lutz est excellent. Il incarne sans effets caricaturaux mais avec une attention aux attitudes, aux regards, aux paroles, une vieille gloire de la chanson française. La façon dont Jamet tient son verre, sa cigarette, semblent le fruit d’observations minutieuses. Le réalisateur Lutz surprend par ses choix judicieux. Élargissant au besoin ses plans fixes, il ajoute des détails qui rendent son personnage plus crédible encore. Cela tient à de petites choses : les fraises dans la loge, la laque Elnett, la maison dans le Sud ou de plus importantes, comme le lien de 40 ans avec son attachée de presse (Nicole Calfan). On donnera aussi un bon point à la photographie, faite de couleurs chaudes mais légèrement pastel, qui donne un côté « été indien » au film, mélancolique. Le comique qu’est Lutz a montré suffisamment de sensibilité esthétique pour ne pas livrer un film moche et plat.

Figure paternelle

Guy Jamet est de pratiquement tous les plans mais les effets de caméra (mouvements, zooms, pauses ou mise en retrait) font sentir la subjectivité du regard de Gauthier. On n’oublie jamais que le portrait est porté par le désir d’un fils de connaître son père. Mais cette figure paternelle est très critiquable. On comprend que le chanteur n’a même pas été un bon père pour son fils légitime. Le regard sur cet homme est certes empathique mais il ne dissimule pas ses mauvais côtés. L’idole des jeunes femmes, comme beaucoup de cette génération de chanteurs de variété, est un type assez misogyne, qui a privilégié son plaisir tant qu’il a pu. Il se montre volontiers vexant et sexiste pour son entourage féminin.

C’est le paradoxe d’un homme qui chante pour son public féminin l’amour, les caresses, la tendresse mais qui est incapable d’aimer les femmes. Guy était donc un compagnon sans doute exécrable mais est-ce un père à mettre à la poubelle ? Le film se montre très pudique dans le dénouement de la relation entre Guy et Gauthier et nous livre une morale assez jolie en rendant hommage à la variété française des années 60-80. Certes, Jamet n’était pas un père terrible mais en faisant rêver des jeunes femmes, en les accompagnant dans leurs romances, n’a-t-il pas été le père indirect de nombreux enfants ? Il y a une gratitude sincère dans ce film, hommage touchant aux idoles ringardes et aux pères défaillants.

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