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Jeune femme (Léonor Séraille)

Bien que ce premier film de Léonor Séraille ait reçu la Caméra d’or à Cannes, ses premières minutes m’ont fait craindre le pire. Paula est à cran, elle ne peut plus rentrer dans le grand appartement de son (ex ?) copain photographe Joachim. Elle se retrouve avec le chat du type et ne sait où aller. On regarde Laetitia Dosch s’emporter et on craint de tomber sur un de ces films français à l’économie, au scénario bancal mais plein d’éclats à même de révéler une actrice en devenir. Judith Godrèche a eu La désenchantée, Lola Créton En ville, on pense au sketch des Inconnus sur les révélations féminines aux Césars, caricaturant des interprétations à fleur de peau (« je veux bien un enfant qui te ressemble mais pas de toiiii ! »), posées sur la trame éculée du conflit amoureux et de la séparation.

Jeune femme est assez loin de ces caricatures. Il a tous les stigmates évoqués plus haut (petit budget, script décousu, actrice épatante) mais ses qualités d’écriture et l’interprétation de Laetitia Dosch en font un film au-dessus du lot.  Paula cherche d’abord un toit, atterrit dans un hôtel miteux. Elle trouve une chambre de bonne après avoir fait une drôle de rencontre dans le métro. Elle cherche du boulot, trouve un job de vendeuse dans « un bar à slips » ! Les séquences courtes qui se succèdent sont des rencontres plus ou moins abouties. Paula se plaint de Paris, ville « qui n’aime pas les gens », mais on comprend petit à petit que cette précarité et cette dureté qu’elle rencontre ont aussi à voir avec elle.

Fantasque

Séraille fait le portrait d’une jeune femme pas du tout conventionnelle. Une nature fantasque, spontanée, maladroite, pénible, qui ne respecte pas les codes de comportement de la vie parisienne et du monde du travail. Elle n’est pas dupe du jeu social mais elle garde une forme de naïveté et de liberté. Laetitia Dosch incarne parfaitement le caractère sinueux mais plastique de son personnage. Les expressions de son visage, ses regards, sa voix, traduisent un mélange d’effronterie et de malaise. Elle en devient très drôle quand elle répond aux questions d’un recruteur et qu’elle surjoue la motivation. On sent qu’elle a envie et pas envie. L’envie de survivre mais pas celle de jouer le jeu social contre elle-même.

Paula n’a rien d’une fille cultivée ou militante. On ne sent pas une révolte politiquement consciente ou de la colère mais le besoin d’être acceptée, aimée sans doute. Deux scènes avec sa mère montrant qu’elle est issue d’un milieu familial brisé donnent un semblant d’explications à son parcours. Tout le film repose sur l’énergie de ce personnage vivant, qui refuse de se comporter en victime. Chaque fois qu’elle se retrouve en position d’être rabaissée ou prisonnière d’une situation (aux urgences, avec sa mère, avec la gynécologue…), elle a un sursaut, une façon bien à elle de renvoyer la balle. Comme spectateur, j’étais parti pour suivre avec compassion les tribulations générationnelles d’une « jeune femme », je me retrouve en pleine empathie avec une personne au charme excentrique.

Paris, instable et ultra-fluide

Jeune femme ne parle pas politique même si on pourrait coller l’étiquette « génération précaire ! »  sur l’affiche du film. La précarité des relations, des sentiments, du travail, on la sent bien. Paris est un environnement instable et ultra-fluide. On y est très seul mais on y fait constamment des rencontres et Paula croisera à plusieurs reprises des gens qu’elle connaît ou d’autres. Les relations sont donc possibles, bénéfiques aussi mais fragiles. La réalisatrice traite cette réalité dure et mouvante avec beaucoup de tact, en utilisant souvent le hors-champ. Plutôt que de libérer brutalement l’énergie de son actrice, de privilégier des moments « forts », elle la module constamment. Il n’est pas besoin de grands effets pour dire les choses et Paula prendra la réalité en pleine gueule dans des moments inattendus (très belle scène à la piscine par exemple).

La couleur orangée est omniprésente dans la photographie. C’est à la fois la couleur du feu et celle de la chevelure rousse de Paula. Elle alimente cette énergie qui parcourt ce film touchant et jamais sinistre. Sorti en DVD ce mois-ci, Jeune femme est à découvrir.

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