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Wake in fright de Ted Kotcheff

Ted Kotcheff ? Le gars qui a réalisé Rambo first blood ? Quand sort Wake in fright (titre français : Réveil dans la terreur) en Australie en 1971, le réalisateur canadien a déjà plus de 10 ans de réalisation TV et cinéma derrière lui. Ce n’est pas un débutant, on le voit au registre percutant de ce film, marqué par un style très Nouvel Hollywood. On regarde attentivement sa filmographie sur IMDB et on voit des choses intéressantes, dont on a entendu parler : l’Apprentissage de Dudy Kravitz (1974), Fun with Dick and Jane (1977) dont un remake sera fait avec Jim Carrey. Une carrière bien remplie donc jusqu’à Rambo, plutôt meilleure avant qu’après Sylvester Stallone. Wake in fright est sorti en réédition DVD en juillet 2015 et j’avais repéré les nombreux éloges sur ce film, décrit par certains critiques comme une révélation.

Je me méfie toujours des soi-disant chefs-d’œuvre perdus et autres films cultes mais là, quelle découverte que ce film ! Par un lent travelling panoramique, il nous dépose dans l’outback australien, zone aride qui couvre plus des deux-tiers du pays. Région hostile dont les couleurs orangées et ocre sont magnifiées par la photographie du film. Tiboonda : village perdu dans lequel enseigne un jeune instituteur, John Grant (Gary Bond). C’est Noël et il va prendre le train puis l’avion pour Sydney où l’attend sa fiancée. Il rejoint la ville minière de Bundanyabba, y passe la nuit en attendant son avion du lendemain. Mais tout se dérègle et il  perd tout son argent au jeu. Il n’arrive plus à quitter « Yabba » et ses habitants. L’intellectuel coincé dans l’arrière-pays australien est frappé d’un sortilège qui le bloque au pays des ploucs alcoolisés !

La connerie des hommes

Attention, Wake in fright n’est pas Deliverance de John Boorman en version australienne. Il ne s’agit pas de survivre à un risque de mort violente lors d’un weekend d’aventures mais plutôt à un condensé de la vie abrutissante dans l’outback australien. Nous assistons donc au cauchemar qui peut saisir un type comme John Grant : et si par un jeu de hasard, comme un pile ou face du destin, je me retrouvais coincé toute ma vie dans un trou perdu, loin de ma fiancée qui m’attend à Sydney ? Et si j’étais pris en charge par ce qui se fait de plus alcoolisé et de plus crétin comme habitants du coin ? Ted Kotcheff a adopté une approche documentaire qui met la caricature à distance suffisante. Quand John Grant pénètre dans le pub où se réunissent les travailleurs de « Yabba », le montage multiplie les plans sur les habitants, capte les corps et les visages de gens ordinaires. Les plans larges et la bande son saisissent l’ambiance lourde, très virile d’une ville minière pauvre en femmes, où l’alcool et le jeu sont les activités prédominantes. Les habitants ne sont pas décrits comme dans Deliverance en humains dégénérés ou consanguins mais plutôt comme des êtres dégradés par leur environnement. Il y a quelque chose de lourdingue et de violent dans l’air, atténué par la bonhommie des gens. A tout moment les hommes proposent à John de partager un verre, de manière si insistante que l’instituteur leur reproche leur accueil agressif. L’alcool est omniprésent. Un autre film se serait sans doute orienté vers le lynchage. On imagine l’intello dévirilisé payant par la violence son mépris pour les petites gens. Un peu ce que Peckinpah propose dans Straw dogs (1971) où Dustin Hoffman se coltine une bande de ploucs anglais qui en veulent à sa femme. Non, John Grant, soudain découragé par sa malchance au jeu, se laisse aspirer par l’ambiance d’un weekend sans fin, conclu par une chasse au kangourou cruelle et délirante. J’ai rarement vu une séquence aussi réussie que cette chasse, décrivant avec délectation la connerie dans laquelle peuvent tomber des hommes qui s’ennuient. Le style très paroxystique, servi par un montage accéléré et des images choc, déflagration soudaine dans la torpeur ambiante, nous hisse au niveau de Peckinpah ou de Friedkin. La réalité devient un cauchemar habité par le personnage de Doc Tydon, mi diable mi satyre, joué avec génie par l’excellent Donald Pleasance. Doc Tydon est un médecin donc un intellectuel. Ce personnage insolite d’homme déchu est une belle création d’acteur. Il représente avec un grand sens comique ce que l’instituteur pourrait devenir en restant dans l’outback.

Je ne sais pas ce qu’un australien habitant l’endroit peut penser d’un film pareil. En tout cas, d’une manière très sarcastique, Ted Kotcheff a réussi à faire de Bundanyabba un enfer qu’on a très envie de visiter… au cinéma du moins. « Have a drink, mate? Have a fight, mate? Have some dust and sweat, mate? There's nothing else out here. » C’est bien résumé.

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