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Dheepan, Palme d'or du prévisible

Dheepan confirme la mécanique scénaristique du cinéma de Jacques Audiard : faire progresser avec difficulté des personnages marginaux vers une forme de normalité. Il est souvent question de prendre des figures improbables ou peu utilisés par le cinéma français et de leur constituer une famille : Tahar Rahim, petit délinquant sans attache du Prophète, va se créer un réseau en prison, Emmanuelle Devos et Vincent Cassel, elle secrétaire sourde et lui ex-taulard en réinsertion, feront un couple improbable dans Sur mes lèvres. Audiard a pour habitude d’hybrider les genres du film noir et du mélodrame : à l’atmosphère sombre et souvent criminelle se superpose une thématique de rédemption personnelle. Dheepan est dans cette lignée sauf qu’il va chercher plus loin encore ses personnages en marge, au Sri Lanka, pour les transplanter dans le décor d’une banlieue lointaine d’Ile de France.

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Milieu à la fois hostile et pacifique

Les trois personnages principaux sont réfugiés tamouls. Dheepan (Antonythasan Jesuthasan), Yalini (Kalieaswari Srinivasan), et Illayaal (Claudine Vinasithamby) forment une famille artificielle constituée dans un camp de réfugiés à des fins d’immigration. Dheepan était tigre tamoul et il a tout perdu au cours d’une guerre civile impitoyable. Les enjeux du film sont clairs : que ses trois personnes forment une famille et qu’elles puissent vivre en France dans un cadre pacifique, où trouver le bonheur. Pourquoi pas, le film a comme premier mérite l’originalité de ses personnages. Jacques Audiard y ajoute une évocation assez équilibrée de la banlieue. Ce fameux « Pré » où Dheepan devient gardien est un milieu à la fois pacifique et hostile mais la caméra n’en fait jamais un lieu glauque. De beaux travellings d’ensemble captent un lieu dégradé mais vivable, où les gens se disent bonjour et font preuve de solidarité. On y trouve du travail grâce aux voisins mais aussi une forme latente d’insécurité : les bâtiments sont squattés par un réseau de trafic de drogue. Malgré les disputes, son foyer est un poste paisible tandis que de l’autre côté de la route, les dealers menacent. Dheepan les observe de sa fenêtre et dit à sa « femme » que c’est comme au cinéma. On comprend bien que la tension montera jusqu’à ce qu’il traverse la vitre et se retrouve à nouveau dans une zone de guerre, comme au Sri Lanka. Dheepan trace une ligne blanche devant son bâtiment, criant « no fire zone ! », avant le franchissement ultérieur de cette ligne. Le spectateur est mis dans une position d’attente très artificielle.

Sensation mitigée pour une Palme d’or

En attendant, le film progresse agréablement, entre intimisme et observations sur la vie en France. Illayaal s’intègre par l’école, Yalini et son mari par le travail. Quelques scènes sont bien menées : le dialogue du couple sur l’humour, les échanges de Yalini avec Brahim (Vincent Rottiers), caïd du quartier. Le film n’est pas misérabiliste et nous épargne les couplets habituels du genre social à la française, succession de violences symboliques assénées aux damnés de la terre : visite à la CAF et à Pôle Emploi, exclusion scolaire, assistante sociale. Pourquoi alors Dheepan donne cette sensation mitigée pour une Palme d’or? Parce qu’il use parfois de procédés bateau - l’image d’un éléphant quand il songe à son pays, le chant exutoire après des situations de rupture. Parce que toutes les situations sont prévisibles et suivent cette fameuse mécanique audiardesque. Parce que la rupture de ton qui fait basculer le film dans une explosion guerrière pataude et irréaliste est un artifice scénaristique. Parce que sa conclusion en forme de happy end est dénuée d’idées. Tous les enjeux du film sont limpides mais sans mystère. Le gentil Dheepan et sa famille sont tombés au mauvais endroit et doivent se protéger du danger et de la dislocation de la cellule familiale. On aurait aimé que l’ancien guerrier soit un personnage plus ambigu, que le scénario le mouille dans une histoire criminelle crédible et fouillée. Servi par de très bons acteurs non professionnels (surtout Kalieaswari Srinivasan), Dheepan ménage assez de situations intéressantes pour captiver mais il n’est pas du tout à la hauteur d’une Palme d’or. 

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