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Drive (Winding Refn): le style fait tout

Drive de Nicolas Winding Refn est la preuve qu’il n’y a pas de bon polar sans style. C’est même le style qui fait tout. Donnez au réalisateur danois le script d’un Julie Lescaut et il en fera cette chose lumineuse et irréelle qu’est Drive. Car l’histoire est banale pour un film noir. Celle d’un type qui en voulant protéger une jeune femme et son fils se retrouve entortillé dans une sale affaire, une affaire de mafieux.

« There's a hundred thousand streets in this city. If I drive for you, you give me a time and a place, I give you a five minute window. Anything happens in that five minutes, then I'm yours, no matter what. Anything happens a minute either side of that, and you're on your own. Do you understand? » Driver (Ryan Gosling) est cascadeur le jour, chauffeur pour braqueurs la nuit. Un as du volant et de la mécanique. Un solitaire. Le type de créature cinématographique née d’une ville, Los Angeles, où conduire aide à survivre. Cette ville n’est qu’un labyrinthe de routes et de voies rapides.  Elle ne semble vivable et belle qu’en voiture. On se remémore Collateral de Michael Mann, la lumière des highways et des buildings survolés en hélicoptère. On écoute la musique 80s qui sort de l’autoradio. On regarde l’écran avec fascination.

Le personnage de Driver est la double face de Los Angeles, ville de divertissement et ville de crime. L’air benêt et transi quand il contemple et embrasse Irene (Carey Mulligan) puis glacial quand il fracasse sauvagement le crâne d'un malfrat. Dans cette ville, romance et violence sont siamoises, cinéma et mafia aussi: avant d’être dans les affaires, Bernie Rose (Albert Brooks) a produit des « films de merde » dans les 80s.

A force de dérouler le fil de signifiants du film, on se dit que Nicolas Winding Refn se fout bien d’avoir un scénario original et des personnages profonds. Il est dans la ville du cinéma, il avait besoin d’un driver pour la traverser, pour la visiter, la filmer. Il nous en fait le portrait, à sa façon de metteur en scène européen qui arrive et se sert avec délectation. Il a à sa disposition toute la boîte à jouets pour faire un film noir, tous les décors: club de striptease, garage, fast food, pawn shops, tout est là. Il a les gueules aussi, comme celles de Ron Perlman, le mafieux juif ou de Brian Cranston, l’employeur éclopé de Driver. Il n’a plus qu’à multiplier pour son plaisir et le nôtre les références cinéphiles. Hommages à James Dean, à Brando (Gosling et son blouson marqué du signe du scorpion), à Scarface (De Palma) et sa sanguinolente scène de salle de bains, à Verhoeven et ses showgirls, à Friedkin et son Police Federal Los Angeles (To live and die in LA, 1985), à Kitano et sa violence sidérante (Aniki mon frère), à Lynch aussi tant les personnages semblent évoluer dans un rêve, à Michael Mann évidemment.

Avec sa rigueur de plan et ses personnages mutiques, Drive fait même penser à du Kaurismaki parachuté à Los Angeles. Son « homme sans passé » pourrait être le titre du film, caractérisant parfaitement le héros sans attaches qu’est Driver. Pour autant, le film n'est pas un catalogue de références et le réalisateur ne cherche pas le second degré complice avec le spectateur. Winding Refn opère un travail d'hybridation esthétique. Il nous embarque dans une histoire très simple et « premier degré » à laquelle son traitement formel et ses références au genre confèrent une puissante originalité. Drive frappe par la beauté de ses plans nimbés de lumière, par sa bande-son pénétrante. Son formalisme est une réussite tant il aspire les sens, nous fait caresser la surface de cette ville, entendre le bruit du moteur, sentir le soleil californien.

On pourra m’objecter le jeu à la droopy de Ryan Gosling, le traitement superficiel des personnages et l’embrouillamini de l’histoire mafieuse. Le film creux. La série B habilement torchée. J’ai envie de dire « oui mais quel style ! » Drive tient pour moi du plaisir graphique et coupable qu’on peut avoir à lire une BD où un héros mutique doit tuer pour survivre et venger la femme qu’il aime. Point. Pas de psychologie. De l’action, de l’atmosphère. Un polar peut avoir du style et une histoire de merde, le contraire ne tient pas.

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