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  • Buongiorno, notte: le terrorisme comme sacrifice

    BuongiornoNotte1.jpgRetour magistral sur ces années de plomb qui ont traumatisé l’Italie. 1978 : l’homme qui a scellé l’entente entre la vieillissante Démocratie Chrétienne et le Parti Communiste, Aldo Moro, est enlevé par les Brigades Rouges. 55 jours plus tard, il sera retrouvé mort dans une voiture. L’Italie est scandalisée et la classe politique tient là son martyr. Marco Bellochio a emprunté le chemin risqué de la fiction pour nous raconter le face-à-face entre Aldo Moro et ses tueurs, évocation sans nostalgie d’une époque trouble dans laquelle se sont égarés certains.

    D’abord, il y a un dispositif d’enfermement parfaitement maîtrisé. Trois hommes, une femme, leur victime, emprisonnés dans un appartement avec pour seule fenêtre sur le monde une TV obsédante, vomissant ses nouvelles, ses variétés. Ensuite, il y a le regard perdu de Chiara – Maya Sansa -, compagne des terroristes et double-témoin du réalisateur. Face à un homme qui va mourir et ne sait pas pourquoi, elle est en proie à un combat intérieur : idéologie révolutionnaire contre conscience morale. Autour d’elle s’exacerbent les symptômes de l’aliénation mentale. Le cadrage resserré, sans profondeur de champ, isole les brigadistes tandis que la musique - Shine on you crazy diamond de Pink Floyd, chanson sur la folie – fait écho à leurs dérives mentales. Le film intègre des extraits de propagande soviétique et de TV italienne, achevant la création d’un univers de huis-clos prêt à imploser. Enfermement, paranoïa, confusion : comme les canaris sur le balcon, ils sont pris dans une cage dont ils ne semblent pouvoir sortir. Chiara balance entre rectitude révolutionnaire et culpabilité, semble prête à sauver Moro mais de suspense il n’y aura pas, c’est le point de soudure entre fiction et Histoire. 

    Marco Bellochio ne cherche pas à juger ses personnages, bourreaux ou victime, mais à les révéler dans l’absurdité de l’acte terroriste. La mise en évidence d’une radicalité religieuse – ils sont prêts à mourir pour leur foi, comme les premiers chrétiens - rappelle le lien entre terrorisme et sacrifice. De même, les objectifs du terrorisme sont confrontés à ses contradictions : toute négociation avec l’Etat est inopérante (« on ne négocie pas avec des terroristes »), l’action « révolutionnaire » est donc renvoyée à sa logique suicidaire.

    Quand on sort de l’appartement, on découvre l’Italie de l’époque et on mesure le fossé entre la société italienne et les terroristes qu’elle a créés. L’Italie apparaît comme un pays de consensus, dans lequel les extrêmes, parce qu’ils répondent à des conservatismes de même nature, se retrouvent et s’harmonisent. Comme dans cette scène de banquet auquel participe Chiara, on peut prier pieusement sur la tombe d’un défunt puis entonner au repas un chant de partisan, comme si les traditions, catholiques et communistes, au lieu de s’annihiler l’une l’autre, s’associaient en un pacte de stabilité politique. La mise à mort d’Aldo Moro dans ce contexte, est un geste d’illuminés, qui révulsera la société. De ce geste ne partiront ni insurrections ouvrières ni Grand Soir. Au contraire, il renforcera la main-mise sur le pays d’une Eglise et d’une classe politique complètement décaties, qu’on dirait ravie de laisser Moro entre des mains fanatiques. Dans les yeux désolés de Chiara ou de ses compagnons encagoulés, se lit déjà leur triste fin.

    Moins illustratif et beaucoup plus cinématographique que Nos meilleures années de Marco Tullio Giordana, Buongiorno, notte est un film remarquable à tous points de vue : jeu intense sur des psychés déformées, portrait d’une femme et d’un pays déboussolés, analyse politique et historique pénétrante.

  • Films d'enfance, si embarrassants

    Gérard Oury a été un des pourvoyeurs de films de ma jeunesse (de mon enfance devrais-je dire). A ce titre, j’avais un certain respect pour ce réalisateur de comédies populaires (La folie des grandeurs, le Corniaud, Les aventures de Rabbi Jacob, l’As des as) et j’avais mal supporté que Michel Ciment, critique à Positif et au Masque et la Plume, dont je respecte beaucoup les avis, fasse étalage de mépris à l’égard d’un cinéaste dont le grand défaut semblait d’avoir du succès. Maintenant que j’ai revu en DVD la Grande vadrouille, sorti en 1966, j’ai presque envie de jeter moi aussi une bonne poignée de terre sur le cercueil d'Oury !

    grande-vadrouille.jpgPour mémoire, la Grande vadrouille commence pendant la Deuxième Guerre Mondiale, par le parachutage sur Paris de pilotes anglais dont l’avion a été abattu. Engagés dans une course poursuite avec les Allemands qui va les mener jusqu’en Bourgogne, ils seront aidés par un chef d’orchestre irascible (Louis de Funès bien sûr) et un peintre de bâtiment gentillet (Bourvil). Un artiste et un ouvrier français, au secours des anglais, contre les allemands. Rien de choquant a priori dans cette association d’improbables résistants. On aurait pu dire, en interprétant un peu : un bourgeois de droite et un communiste. L’opposition des caractères, recette comique gagnante du cinéma français, qui sera resservie maintes fois par des émules d’Oury comme Francis Veber.

    Vingt ans après l’avoir vu à la TV, je suis tombé de haut. Je sais, Oury n’est pas Lubitsch ni Wilder, mais quand même, on parle d’un « monument » de la comédie française ! Ce film, qui renvoie de la France occupée l’image d’un pays peuplée de résistants, dégouline de démagogie. Pétain, les collabos, les rafles ? Pas vu. Il n’y avait en France que des résistants face à ces bourrins d’allemands claqueurs de bottes. Il n’y avait que des braves gens prêts à rendre service aux pilotes anglais. Pendant tout le film se dégage le sentiment d’un réalisateur servilement attaché à flatter son public. L’accusation de révisionnisme porterait si on n’avait le sentiment que Gérard Oury, plein de bons sentiments, a voulu éviter à son public les mauvais souvenirs de la guerre. Comme si on ne pouvait rire qu’en cachant la vérité. Enorme contresens d’un réalisateur qui avait bien dû voir To be or not to be de Lubitsch (1942) auquel la Grande vadrouille renvoie explicitement.

    Il aurait peut-être fallu que la Grande vadrouille me fasse simplement rire pour que je mette de côté mes critiques. Hélas, ce film, qui est la matrice de la grande comédie à la française (rythmée, pourvue d’acteurs cabotins et de bons mots) a mal vieilli.  Vieilli dans sa représentation du pays (tendance béret-baguette et religieuse en cornette), dans son gros comique anti-boche et dans le cabotinage ininterrompu des acteurs.

    Finalement, Oury restera pour moi un cinéaste d’enfance dont l’œuvre me rattache à l’époque où mes goûts n’étaient pas formés. Le génie grimaçant de Louis de Funès suffisait. Avant Veber, Oury a créé une sorte de cinéma sans cinéma, transposition de mécaniques comiques efficaces et dans l’air du temps mais sans rien qui ressemble à un style. Un très mauvais cinéaste, donc.

    On ne devrait jamais revoir les films de son enfance !!!