Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Scorsese tout près de s'échouer sur Shutter Island

Shutter Island commence par une image splendide. Un fond blanc laiteux laisse doucement apparaître les contours gris et fantomatiques d'un ferry. Le mystère est inscrit dans le film dès son ouverture. Deux US marshalls, joués par Leonardo Di Caprio et Mark Ruffalo sont sur un bateau, une enquête commence. Une femme s'est échappée de la prison-asile psychiatrique située sur Shutter Island, on navigue dans les eaux troubles d'un polar estampillé fifties. Un polar oppressant comme les migraines du marshall Teddy Daniels (Di Caprio) et comme la partition pompière qui leur fait écho. Elle accompagne de fracas glaçants nos deux enquêteurs dans leur première vision de la prison et de ses dépendances : 3 bâtiments, un phare. Cette prison n'est pas même une vraie prison puisqu'il n'y a pas de prisonniers mais des patients. Cette prison cache bien des secrets puisque l'accès au bâtiment C, celui des patients « dangereux », demeure interdit à nos deux marshalls. Et que dire de ces médecins, joués par Ben Kingsley et Max Von Sydow, qui ont l'air de cacher quelques délicats secrets ? Une tempête gonfle dans le ciel, on se prépare à plonger dans l'horreur.

L'évocation de cette entame magistrale est d'autant plus douloureuse que la suite du film n'est pas à la hauteur de son intense quart d'heure d'exposition. Il y a une enquête à mener, portant sur la disparition et sur la nature même de Shutter Island (qu'abrite réellement l'endroit ?). Il y a une psyché à explorer, celle du marshall Daniels, homme tourmenté par le deuil de sa femme et par les visions du camp de Dachau, découvert pendant la guerre. Hélas, Scorsese ne parvient pas à mener de front ses deux enquêtes, policière d'une part, psychanalytique d'autre part. Le film perd son rythme et s'embourbe progressivement, balançant entre flashbacks lourdingues et superbes fulgurances.

La découverte attendue du bâtiment C s'annonçait comme un des points d'orgue du film. Elle fait hélas penser à une copie maladroite du Silence des agneaux, où rien ne semble inspiré ni surprenant. L'image d'Elias Koteas recroquevillé dans sa cellule, le visage couturé comme un sous De Niro échappé de Frankenstein, a un goût de déjà vu frustrant. En revanche, l'exploration du phare, lieu fantasmé d'expériences sur les humains, donne lieu à un moment sublime et angoissant où convergent brisure psychanalytique digne de Vertigo (Hitchcock) et délires paranoïaques rappelant Un crime dans la tête (Frankenheimer). C'est le meilleur passage du film et comme par hasard l'un des seuls surprenants, où Scorsese, en puisant dans les trésors de sa cinéphilie, réussit à métaphoriser le gouffre vertigineux qui se creuse dans la tête de Daniels.

Shutter Island frôle parfois le chef d'œuvre qu'il aurait pu être. Scorsese s'en sort grâce à son savoir-faire et à la beauté de sa reconstitution mais sa mise en scène se révèle dépourvue d'idées neuves. Sa réalisation linéaire cahote et se fait par moments incroyablement pataude et « premier degré ». L'œil du spectateur, emprisonné dans le luxe de la photographie, n'est que peu embarqué sur des chemins en trompe-l'œil. Scorsese ne joue pas, ne crée pas de labyrinthe. Au contraire, il se contente de diriger son héros dans un couloir faiblement éclairé dont il bouche les bifurcations possibles. Saturée de flashbacks, la mécanique du film est trop peu subtile pour que le spectateur perde réellement pied, saisi à son tour par la paranoïa. On aimerait bien ne pas connaître tout ce qui se passe dans la tête de Teddy Daniels. On aimerait au contraire lui donner la main, craintif, comme à un homme dont on ne sait s'il est lucide ou détraqué.

Avec les minutes, le récit se fait mécanique. Le retournement de situation qu'il propose en guise de conclusion est prévisible. Le moment de vérité tant attendu, ultime flashback d'une longue série, arrive éventé malgré la conviction qu'y mettent les acteurs. Bien que le final retrouve quelque peu l'intensité des premières minutes du film, on sort de Shutter Island déçu, un peu surpris même par le manque d'inventivité et de puissance de la mise en scène.

Les commentaires sont fermés.