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ousmane sembene

  • Sembene: l'oeil sur les plaies du Sénégal

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    Pendant les commémorations récentes des 50 ans de l'Indépendance du Sénégal, Ousmane Sembene a été cité à la va-vite parmi les artistes qui ont marqué les arts de son pays. Après avoir visionné quelques-uns de ses films, je comprends mieux pourquoi. Talentueux et souvent récompensé par des prix internationaux, il n'était pas un artiste de cour ni un homme de consensus. Pas le genre à faire des courbettes devant les politiciens ou les confréries maraboutiques toutes puissantes du pays. Que ce soit dans La noire de... (Prix Jean Vigo, 1966), Le mandat (1968), Xala (1975), Camp de Thiaroye (1987) ou Guelwaar (1990), son cinéma a toujours gratté les plaies, celles du Sénégal, pays sahélien sans grandes ressources, dont les élites politiques ont longtemps gardé un lien œdipien avec les ex-colonisateurs français.

    L'essence de son cinéma me semble résumée dans les vingt minutes de Borom Sarret (littéralement Monsieur Charrette en langue wolof), son premier court métrage de 1963. L'histoire d'un conducteur de charrette qui transporte toute sorte de gens dans Dakar : une femme enceinte, un griot, un fonctionnaire... Cahotant au galop du cheval, la caméra de Sembene se confond avec le regard du travailleur. L'oeil du pauvre enregistre la dualité entre le Dakar misérable de la tôle et celui moderne du béton. Il perçoit les distinctions sociales à l'œuvre, dans l'urbanisme et l'architecture, dans le maintien du riche, dans la brutalité du policier qui le prive de son gagne-pain. Interdit de circuler dans la zone du Plateau, où se concentrent les nantis, Borrom Sarret se fera confisquer sa charrette et rentrera piteux et sans le sou à la maison. Naturalisme satirique, lucidité sociale, ironie et tendresse mêlées pour le peuple, tout sera développé et perfectionné dans ses films suivants. En étant profondément sénégalais, Sembene sera universel. Il décrira un pays réel, le sien.

    Je reprends quelques éléments de sa biographie, repères chronologiques d'une vie intense. Sembene est né en Casamance (Sud du Sénégal) en 1923. En 1942, il est enrôlé dans les tirailleurs sénégalais. En 1946, il arrive à Marseille et travaille comme docker. Il adhère à la CGT et au PCF. En 1956, il publie son premier roman, le docker noir (pas lu). En 1960,  il publie ce qui a été pour moi une découverte littéraire, Les bouts de bois de Dieu, récit de la grève générale des cheminots du Dakar-Niger en 1947. Les influences sont évidentes (Zola, Malraux) mais sans être envahissantes. Les personnages sont forts et les conflits sociaux sont décrits dans toute leur violence, sans lyrisme. C'est un grand roman.

    A l'indépendance Sembene revient au Sénégal. Il décide de devenir cinéaste et à 40 ans intègre une école de cinéma à Moscou. N'ayant pas encore vu Emitaï (1971), Ceddo (1977) ou Faat Kiné (2000), je rajouterais aux films cités précédemment Moolaadé (2004), son dernier, le plus beau que j'aie visionné, sur une femme qui se révolte contre l'excision de petites filles, dans un village du Sahel. Le plus abouti esthétiquement et le plus libérateur dans son propos. Le plus fin aussi car il faut de la subtilité pour affronter une tradition à ce point imprimée dans le cerveau de certains hommes.

    Ousmane Sembene est décédé en 2007. A Dakar, il n'y a plus de salles de cinéma grand public depuis la fermeture du Paris. Sur quels grands écrans survivra l'héritage de ce grand cinéaste populaire ?