Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

coppola

  • Appel à la friction !

     

    couteau-entre-les-dents.jpg

    Le cinéma d’aujourd’hui m’ennuie. La trame des histoires d’amour, de séparation, d’adultère est usée jusqu’à la corde. Les films de super héros sont puérils. Les comédies ne sont pas drôles. Les drames sont bourgeois et prévisibles. Les effets spéciaux et le numérique étouffent les personnages. Les intrigues sont mal écrites. Je sais de plus en plus à quoi m’attendre quand je regarde un film. Je n’apprends rien, je ne suis pas bousculé, je suis conforté par des recettes et des clichés. On ne me parle que de ce que je connais. Et pourtant, tant de choses dans le monde me dépassent et peuvent me fracasser : réchauffement climatique, trafics, terrorisme, prolifération du numérique, spéculation financière délirante, marchandisation des corps, migrations massives, toute puissance du sport etc. De plus, il y a dans l’histoire du monde la matière de millions de films et de scénarios originaux: conquêtes, grandes découvertes, révolutions, colonisations, etc. L’humain est dans l’Histoire comme un ours sur une banquise qui se détache, il ne sait pas ce qui va arriver. L’Histoire en action est donc un terrain de fiction à reconquérir.

    Quel français fera un film sur la Commune de Paris? Sur la Françafrique ? Qui osera faire un film critique sur le sport spectacle ? Qui traitera de l’invasion du numérique dans notre intimité ?

    De plus en plus, on se réfugie dans les séries pour voir des sujets qui ne sont plus traités sur grand écran. Le cinéma est devenu un art conformiste, un art de mollusque.

    La postmodernité, le référentiel, le clin d’œil, le second degré sont épuisés. Pour revivre, le cinéma doit parler de l’humanité en mouvement, pas reproduire des poses culturels et des références ad nauseam. Un film inspiré de la Nouvelle Vague est un film mort-né. Un film de Tarantino est un joujou sympathique.

    C’est pourquoi j’en appelle à une grande révolution du cinéma mondial pour sortir du conformisme, des recettes et de l’ennui qui nous guettent. J’en appelle à un cinéma du réel, du concret, de la friction. J’en appelle à la science-friction, à la politique-friction etc.

    Scénariste, réalisateur, écrivain, travailleur du 7ème Art, lève-toi et raconte-nous le monde ! Voici tes 13 commandements :

    1. Des livres d’Histoire, de sciences humaines et de la prospective tu liras et l’inspiration tu puiseras 
    2. La politique, l'économie et la technique point ne mépriseras
    3. le petit récit intime et les histoires de fesse bourgeoises tu éviteras
    4. Les rencontres, cassures et métissages entre plusieurs mondes tu exploreras
    5. Dans la dystopie et l’uchronie tu t’aventureras
    6. Un point de vue tranché tu risqueras : mieux vaut un film assumé qu’un film tiède
    7. Le tragique tu privilégieras, la comédie tu pourras (à condition d’être drôle et d'avoir le sens du rythme)
    8. Le point de vue de celui qui n’est pas toi (la femme, le vieux, l’immigré, l’enfant, etc.) tu tenteras
    9. L’épaisseur et la vraisemblance des personnages tu privilégieras
    10. La photo, le cadre, la mise en scène et le rythme jamais tu ne négligeras
    11. De l'esthétique TV / téléfilm / téléréalité / clip toujours tu t'affranchiras
    12. Au montage le Temps tu respecteras
    13. Cette liste de films tu regarderas, dont l’esprit tu méditeras :

    ·         Docteur Folamour (Kubrick)

    ·         Les temps modernes (Chaplin)

    ·         Conversation secrète (Coppola)

    ·         La bataille d’Alger (Pontecorvo)

    ·         Metropolis (Lang)

    ·         Lacombe Lucien (Malle)

    ·         M. Klein (Losey)

    ·         Le cuirassier Potemkine (Eisenstein)

    ·         Daratt (Haroun)

    ·         Little Big man (Penn)

    ·         La terre tremble (Visconti)

    ·         Soleil vert (Fleischer)

    ·         Total recall (Verhoeven)

    ·         L’homme qui voulut être roi (Huston)

    ·         Nous nous sommes tant aimés (Scola)

    ·         Votez McKay (Richie)

    ·         The parallax view (Pakula)

    ·         Emitaï (Sembene)

    ·         Raja (Doillon)

    ·         La chinoise (Godard)

    ·         Aguirre ou la colère des dieux (Herzog)

    Etc.

     

    AU TRAVAIL !!!

  • Cotton club: comme un numéro musical

    cotton-club_l.jpgCotton club de Francis Ford Coppola (1984) pouvait postuler à tous les prix artistiques tant il le mérite. Il a d’ailleurs remporté 2 oscars, pour ses costumes et son montage. Mais l’Histoire, injustement, l’a retenu pour son gouffre financier, un de plus pour son réalisateur après Apocalypse, now et pour les démêlés de Coppola avec son producteur, Robert Evans, qui est à l’origine du projet. On ne parle que rarement de Cotton club sauf pour dire que son échec commercial a fait rentrer dans le rang le génial cinéaste.

    Cotton club débute à New York au temps de la Prohibition, à la veille de la Grande Dépression. Il met en parallèle l’ascension d’un trompettiste blanc, Dixie Dwyer (Richard Gere), « aussi talentueux qu’un nègre » et celui de Sandman Williams, un danseur de claquettes noir (Gregory Hines). Dixie sauve le gangster Dutch Schultz (James Remar) lors d’un attentat. Dutch le prend sous sa protection et lui demande de devenir le chaperon de Vera Cicero (Diane Lane), une danseuse dont il s’est entiché. Sandman, lui, arpente les coulisses du club culte de la culture noire, s’y impose, alors qu’il a interdiction d’y rentrer comme spectateur. Il court après la belle Lila, une chanteuse de couleur qui a la chance d’être plus claire de peau que lui.

    Le film est découpé de façon virevoltante, comme un numéro musical. On peut même dire que sa force réside dans ses hommages à la danse, au jazz, aux big bands, à la culture noire des années 20-30, dont Coppola livre une vision très idéalisée. Toujours habile, il se permet de bondissants travellings entre scène, public et coulisses. Les numéros de claquettes des frères Sandman, le Minnie the moocher de Cab Calloway sont parmi les moments les plus beaux de ce film. En revanche, Cotton  club souffre du manque de consistance de ses personnages blancs. Richard Gere et Diane Lane ont des rôles peu attachants. Le surdoué trompettiste, pour qui on imaginait un beau destin dans le jazz, se retrouve sous la coupe de Dutch puis de Owney Madden (Bob Hoskins). Il entame une carrière à succès à Hollywood, dans un rôle de gangster. Vera Cicero n’ouvre la bouche que pour rappeler son ambition et le fait qu’elle réussit grâce à son cul. Ils sont manipulés par des forces qui les dépassent, celle de Madden surtout, qui nous renvoie à la main mise de la mafia sur l’industrie du divertissement. La réunion de Diane Lane et de Richard Gere manque hélas d’électricité et de sensualité. Leurs jeux ne compensent pas la faible envergure de leurs personnages. L’acteur surtout se révèle fade, emprunté, peu stimulant. Par contraste, ce qui touche à Sandman Williams est beau et idéalisé, bien que son rôle soit peu développé. A travers lui, l’art noir est vu comme un art de gens opprimés et non compromis comme le sont Vera et Dixie. Sandman est un personnage pur qui cherche la réalisation de son talent et de son amour pour Lila. Une très belle scène est celle où il peut aimer Lila dans un hôtel après qu’elle ait avoué à l’employé qu’elle était noire, les unions mixtes étaient souvent interdites à l’époque.

    Autre faiblesse du film : le versant « mafioso » constitue plus un décor d’époque qu’un véritable enjeu dramatique. C’est distrayant à défaut d’être captivant. Cela permet au tout jeune Nicholas Cage, qui joue le petit frère de Dixie, de faire un amusant numéro d’apprenti gangster. Coppola parodie son Parrain mais se disperse dans son récit. La légende du film veut qu’il y ait eu 27 versions du scénario ! Cela se voit, bien que le rythme de comédie musicale fasse qu’on ne s’ennuie jamais.

    On imagine bien que Coppola parle de lui dans Cotton club. Faisons un peu d’interprétation. D’un côté un monde de compromissions et de magouilles, celui des blancs, où les dons artistiques sont corrompus, soumis, gâchés. De l’autre un art vivant, joyeux, persévérant, qui éclate sur scène malgré le racisme que subissent ses plus brillants émules. On voit de quel côté Coppola se situe et le sentiment d’amertume qui pouvait le saisir, lui qui s’est toujours considéré comme un artiste. L’art dévoyé, écrasé, ça peut être celui du cinéma, où des gens sans scrupules, producteurs infects, starlettes cyniques, artistes ratés, font fortune. Le film est très ambigu car il rend aussi hommage à la naissance du cinéma parlant – Dixie Dwyer, n’est-il pas une référence à Al Jolson, artiste blanc de music hall qui a donné au cinéma parlant sa première voix dans the jazz singer (1927) ? Il y a tout au long du récit une tension entre art et corruption, entre idéal artistique et la dure réalité des faits.

    On devine pourquoi Cotton club a pu faire partie de la filmographie maudite de Coppola, celle qui n’a pas du tout marché commercialement. 1984, ère Reagan. Michael Jackson est devenu le roi de la pop en aseptisant la musique noire. Steven Spielberg est devenu un réalisateur très important en reniant les idéaux artistiques des cinéastes de sa génération, dont fait partie Coppola. Et puis, le public avait-il envie d’entendre parler de jazz, de racisme, de crise de 1929 et surtout de voir des personnages si peu sympathiques? Coppola montre certes un côté passéiste, qui aurait pu plaire mais Cotton club, contemporain d’Indiana Jones et le temple maudit, n’avait que peu de chances de rencontrer le succès public. Ce beau film mérite une seconde chance.