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Sicario (Denis Villeneuve)

Sicario de Denis Villeneuve est un film qui ne ménage pas ses effets pour impressionner le spectateur pendant 2 heures. La musique de Jóhann Jóhannsson est grandiloquente. La réalisation privilégie les plans longs et les mouvements de caméra amples – ah cette montée sur un toit au coucher de soleil pour observer Ciudad Juarez ! La photographie de Roger Deakins est magnifique. Le film est un bel objet dont le scénario et le propos m’ont paru problématiques (attention spoilers !). Je suis sorti de ce film à la fois impressionné et frustré.

 

Un territoire des loups

Quand Kate Macer (Emily Blunt), agente du FBI, découvre une maison de Houston remplie de cadavres mutilés et puants, l’enjeu du film s’impose à ce personnage intègre auquel le spectateur est amené à s’identifier. Il va falloir trouver les grands méchants du cartel qui ont fait tout ça et leur faire payer. Kate se voit proposer un poste de soutien tactique à des opérations de la CIA menées par Matt Graver (Josh Brolin, cool et cynique) et par un mystérieux latino du nom d’Alejandro (Benicio del Toro). C’est là que le film, collé au point de vue de Kate, fait du surplace. Il se passe des choses (une intervention glaçante à Juarez notamment) mais comme Kate on ne comprend pas bien quel est leur but et surtout à quoi sert son personnage. On découvrira en toute fin que l’agente du FBI a servi de caution légale à une opération clandestine au Mexique pour éliminer un chef de cartel. Ce chef de cartel est le responsable des cadavres de Houston, la boucle morale est donc bouclée. Evidemment le personnage de Kate, typique du citoyen US intègre qui aime bien faire les choses by the book, est outré d’avoir servi à une opération clandestine. Mais à la fin, c’est le personnage d’Alejandro, l’exécuteur du baron de la drogue qui a le dernier mot : « c’est (parlant du Mexique) devenu le territoire des loups ». En résumé, le Mexique est un enfer et on ne peut s’y comporter comme un enfant de chœur ! Il est assez troublant de constater une fois de plus que le point de vue moral est porté par un américain tandis que la sale besogne est dévolue à un latino (Alejandro) qui, bien sûr, est un expert en tortures. Il n’empêche que cette sale besogne est bien une opération américaine. Le scénario dit à la fois « c’est pas bien tout ça » mais en même temps, vu que c’est le Mexique, « on ne peut pas faire autrement ». Peu importe que la fameuse war on drugs ait conduit à des désastres en Amérique Latine, le point de vue idéologique reste toujours le même et c’est celui des forces de répression (FBI, DEA, CIA) : il faut utiliser des moyens violents.

Ciudad Juarez ou Bagdad ?

Le personnage de Kate est donc un personnage prétexte, incarnant le point de vue innocent et honnête, celui du spectateur américain. Le problème du film réside dans le fait qu’en la suivant tout au long d’un scénario très tortueux, plein de détours, on arrive à une conclusion simplissime : le Mexique c’est le pays du mal (avec un grand M) et ces gens-là sont quand même de sacrés barbares – même s’ils ont une famille et des enfants qui souffrent. Il n’y a d’ailleurs pas de point de vue exprimé par un personnage mexicain dans ce film. Les effets de mise en scène sont destinés à faire de ce pays « un territoire des loups » où on pend des gens dans la rue, où la vie humaine ne vaut pas grand-chose. Tous ces plans aériens sur des paysages désertiques grandioses, accompagnés des effets pompiers de Jóhannsson, font entrer le spectateur dans les ténèbres. C’est Ciudad Juarez qu’on voit mais ça ressemble aussi à Bagdad et c’est probablement un peu la même chose. Ça n’a rien à voir avec l’Amérique, c’est de l’autre côté de la frontière. Si ce pays n’est qu’un enfer, on voit alors mal quelle alternative il y aurait à la violence.

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Les américains ont souvent mis en scène leurs turpitudes mexicaines, dans des films remarquables comme La horde sauvage ou Apportez-moi la tête d’Alfredo Garcia de Sam Peckinpah. Voir aussi Vera Cruz de Robert Aldrich. Les personnages de ces films sont violents, ambigus, souvent des crapules. Il en ressortait que l’innocence n’était pas du côté américain et que le Mexique a souvent été un terrain de jeu pour les aventuriers yankees. Ces films mettaient brillamment en scène une grande confusion morale et on en ressortait ébranlé. Mais c’était une autre époque, marquée par la culpabilité et les guerres ratées (Corée, Vietnam). Sicario nous indique simplement que le Mal est concentré de l’autre côté de la frontière et que pour Kate comme pour toute personne sage, il est préférable de ne pas s’y aventurer.  Denis Villeneuve aura manié beaucoup d’effets et parfois, il faut reconnaître, de brillants moments de mise en scène, pour nous servir un propos finalement très manichéen et prévisible.

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