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  • Cotton club: comme un numéro musical

    cotton-club_l.jpgCotton club de Francis Ford Coppola (1984) pouvait postuler à tous les prix artistiques tant il le mérite. Il a d’ailleurs remporté 2 oscars, pour ses costumes et son montage. Mais l’Histoire, injustement, l’a retenu pour son gouffre financier, un de plus pour son réalisateur après Apocalypse, now et pour les démêlés de Coppola avec son producteur, Robert Evans, qui est à l’origine du projet. On ne parle que rarement de Cotton club sauf pour dire que son échec commercial a fait rentrer dans le rang le génial cinéaste.

    Cotton club débute à New York au temps de la Prohibition, à la veille de la Grande Dépression. Il met en parallèle l’ascension d’un trompettiste blanc, Dixie Dwyer (Richard Gere), « aussi talentueux qu’un nègre » et celui de Sandman Williams, un danseur de claquettes noir (Gregory Hines). Dixie sauve le gangster Dutch Schultz (James Remar) lors d’un attentat. Dutch le prend sous sa protection et lui demande de devenir le chaperon de Vera Cicero (Diane Lane), une danseuse dont il s’est entiché. Sandman, lui, arpente les coulisses du club culte de la culture noire, s’y impose, alors qu’il a interdiction d’y rentrer comme spectateur. Il court après la belle Lila, une chanteuse de couleur qui a la chance d’être plus claire de peau que lui.

    Le film est découpé de façon virevoltante, comme un numéro musical. On peut même dire que sa force réside dans ses hommages à la danse, au jazz, aux big bands, à la culture noire des années 20-30, dont Coppola livre une vision très idéalisée. Toujours habile, il se permet de bondissants travellings entre scène, public et coulisses. Les numéros de claquettes des frères Sandman, le Minnie the moocher de Cab Calloway sont parmi les moments les plus beaux de ce film. En revanche, Cotton  club souffre du manque de consistance de ses personnages blancs. Richard Gere et Diane Lane ont des rôles peu attachants. Le surdoué trompettiste, pour qui on imaginait un beau destin dans le jazz, se retrouve sous la coupe de Dutch puis de Owney Madden (Bob Hoskins). Il entame une carrière à succès à Hollywood, dans un rôle de gangster. Vera Cicero n’ouvre la bouche que pour rappeler son ambition et le fait qu’elle réussit grâce à son cul. Ils sont manipulés par des forces qui les dépassent, celle de Madden surtout, qui nous renvoie à la main mise de la mafia sur l’industrie du divertissement. La réunion de Diane Lane et de Richard Gere manque hélas d’électricité et de sensualité. Leurs jeux ne compensent pas la faible envergure de leurs personnages. L’acteur surtout se révèle fade, emprunté, peu stimulant. Par contraste, ce qui touche à Sandman Williams est beau et idéalisé, bien que son rôle soit peu développé. A travers lui, l’art noir est vu comme un art de gens opprimés et non compromis comme le sont Vera et Dixie. Sandman est un personnage pur qui cherche la réalisation de son talent et de son amour pour Lila. Une très belle scène est celle où il peut aimer Lila dans un hôtel après qu’elle ait avoué à l’employé qu’elle était noire, les unions mixtes étaient souvent interdites à l’époque.

    Autre faiblesse du film : le versant « mafioso » constitue plus un décor d’époque qu’un véritable enjeu dramatique. C’est distrayant à défaut d’être captivant. Cela permet au tout jeune Nicholas Cage, qui joue le petit frère de Dixie, de faire un amusant numéro d’apprenti gangster. Coppola parodie son Parrain mais se disperse dans son récit. La légende du film veut qu’il y ait eu 27 versions du scénario ! Cela se voit, bien que le rythme de comédie musicale fasse qu’on ne s’ennuie jamais.

    On imagine bien que Coppola parle de lui dans Cotton club. Faisons un peu d’interprétation. D’un côté un monde de compromissions et de magouilles, celui des blancs, où les dons artistiques sont corrompus, soumis, gâchés. De l’autre un art vivant, joyeux, persévérant, qui éclate sur scène malgré le racisme que subissent ses plus brillants émules. On voit de quel côté Coppola se situe et le sentiment d’amertume qui pouvait le saisir, lui qui s’est toujours considéré comme un artiste. L’art dévoyé, écrasé, ça peut être celui du cinéma, où des gens sans scrupules, producteurs infects, starlettes cyniques, artistes ratés, font fortune. Le film est très ambigu car il rend aussi hommage à la naissance du cinéma parlant – Dixie Dwyer, n’est-il pas une référence à Al Jolson, artiste blanc de music hall qui a donné au cinéma parlant sa première voix dans the jazz singer (1927) ? Il y a tout au long du récit une tension entre art et corruption, entre idéal artistique et la dure réalité des faits.

    On devine pourquoi Cotton club a pu faire partie de la filmographie maudite de Coppola, celle qui n’a pas du tout marché commercialement. 1984, ère Reagan. Michael Jackson est devenu le roi de la pop en aseptisant la musique noire. Steven Spielberg est devenu un réalisateur très important en reniant les idéaux artistiques des cinéastes de sa génération, dont fait partie Coppola. Et puis, le public avait-il envie d’entendre parler de jazz, de racisme, de crise de 1929 et surtout de voir des personnages si peu sympathiques? Coppola montre certes un côté passéiste, qui aurait pu plaire mais Cotton club, contemporain d’Indiana Jones et le temple maudit, n’avait que peu de chances de rencontrer le succès public. Ce beau film mérite une seconde chance.

  • Holy motors: en panne

     

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    Je me suis réveillé de Holy motors deux fois pendant la projection. La première fois quand Denis Lavant passe de businessman à  mendiante roumaine : j’ai fantasmé deux secondes sur le fait que je l’avais peut-être croisé en répétition dans le métro Place Clichy. La seconde fois quand j’ai entendu : « les gens ne savent plus regarder… la beauté se trouve dans l’œil du spectateur ». C’était donc ça ! Si ce film m’a profondément ennuyé, c’est parce que je ne sais pas regarder, que mon œil paresseux n’a pas vu la beauté où elle était…

     

    Le personnage multiforme d’Oscar (Denis Lavant) enchaîne ses rôles (businessman, mendiante, monstre, tueur…) en une suite décousue de sketchs inégaux. Acteur et caméléon, il multiplie les performances mais cette succession d’exploits n’a aucun intérêt dramatique en soi. J’ai pu croire en début de film qu’à l’instar de l’homme sans visage dans Nuits rouges de Franju (1974) Oscar serait un personnage romanesque jonglant avec les masques, un hommage déguisé à l’enfance feuilletonesque du cinéma. Qu’il donnerait au spectateur l’illusion de suivre une intrigue. Cette illusion absente, tout cela m’a indifféré. Denis Lavant enchaîne-t-il les interprétations stupéfiantes ? En « monstre Merde » oui, en businessman ou en père de famille pas vraiment… question de subjectivité, le comédien me laisse de marbre. De plus, contrairement à la critique, je ne trouve pas que le film soit exceptionnellement beau. Carax filme-t-il Paris sublimement ? Il fait beaucoup moins bien que… Carax dans Boy meets girl il y a 30 ans ! Carax enchaîne-t-il les morceaux de bravoure ? Je n’ai rien vu de fulgurant au gré des changements de registre. Que Denis Lavant soit un assassin ou un homme sur son lit de mort, ça ne me touchait pas : ces sketchs sont faibles, creux, comme si Carax ne prenait pas au sérieux ce qu’il filme, comme s’il exhibait les signes de pauvreté du cinéma contemporain, que même un comédien exceptionnel ne pourrait sauver.

     

    Hélas, je ne pense pas qu’un film puisse s’en tenir à un constat de faiblesse et au discours auteurisant qui va avec. La multiplication des masques, le discours sur l’image et sur l’acteur, oui mais encore faut-il me connecter à l’œuvre. Je suis un spectateur somme toute ordinaire, j’aime qu’on me stimule, qu’on m’enfume en me racontant quelque chose. Tarantino, qui n’est certes pas un intellectuel me fait passer sa vision du cinéma par une histoire rocambolesque de tueurs de nazis (Inglorious Basterds). J’adhère. Je suis sans doute bon public. Lynch m’invite à partager ses cauchemars et ses pannes d’inspiration. J’adhère, même s’il teste mes limites de spectateur dans Inland empire. Holy motors ne trouve pas les moyens de m’intéresser à ce qu’il dit.

     

    Que me dit Holy motors sur moi et mon époque ? Que comme mes contemporains je ne sais plus regarder. Me donne-t-il les moyens de recouvrer la vision ? Non.