John Huston
La conquête de Xavier Durringer, entre guignols et vaudeville
Autant la conquête de Xavier Durringer est un film amusant à voir, autant sa proposition de mise en scène est faible et son propos assez étriqué. Le film est résumable ainsi : c’est l’histoire d’un homme politique, Nicolas Sarkozy, qui, en conquérant la présidence de la République Française en 2007, perd sa femme. La conquête conjugue donc la chronique d’une ascension politique et une histoire de couple qui tourne au vinaigre. Sur les deux tableaux, le film n’est pas particulièrement percutant même s’il réussit à divertir.
Passons rapidement sur l’aspect conjugal du film, qui intéressera peut-être quelques lecteurs de Gala ou de Public. On apprend que le candidat à la présidence a été bien malheureux dans son couple pendant la campagne électorale et que la fameuse Cécilia (Florence Pernelle) n’a pas résisté à l’affichage médiatique permanent qu’ils ont subi tous les deux. Le film, qui met assez banalement en scène les disputes du couple, n’a pas grand-chose à dire de plus que ce résumé : les Sarkozy, un couple en crise, comme beaucoup d’autres.
Concernant l’ascension politique de Nicolas Sarkozy, elle est traitée dans une tradition bien française, sur un mode satirique, empruntant aussi bien aux Guignols de l’Info qu’au Canard Enchaîné. On a les figures guignolesques, hommes politiques et personnages plus ou moins publics qu’on se plaît à reconnaître (Tiens, Bernadette Chirac ! Tiens, Rachida Dati ! etc.) et qui, pour les plus connus, sont incarnés par des comédiens créant un réel sentiment de complicité avec le spectateur. On a les bons mots qu’on croirait tirés d’une lecture assidue du Canard et qui recréent cette ambiance de cruauté théâtrale propre à l’arène politique (Dominique de Villepin rageur s’écriant le soir de l’élection de son rival : « le nain fera une France à sa taille ! »).
Tout ceci provoque un sentiment de confort et d’empathie pépère pour le spectateur qui rit souvent. Mais le film, en nous confortant dans nos propres représentations des personnages publics et du monde politique, une cour de récréation où tout est permis, se révèle bien creux. Il faut le souligner, Denis Podalydès en Nicolas Sarkozy, Bernard Lecoq en Jacques Chirac ou Samuel Labarthe en Dominique de Villepin sont des incarnations tout à fait crédibles mais elles le sont probablement pour de mauvaises raisons. Le Chirac goguenard devant sa TV, en pull rouge et une Corona à la main, c’est finalement plus celui des Guignols de l’Info que le personnage complexe qui a fréquenté les lieux du pouvoir pendant presque 40 ans. De même, Dominique de Villepin n’est vu qu’à travers son exaltation prétentieuse et sa haine viscérale de Sarkozy, traits de caractère connus et souvent moqués par les amuseurs (Guignols de l’Info, imitateurs etc.). Le Nicolas Sarkozy de Denis Podalydès est le personnage le plus finement incarné mais c’était bien une nécessité étant donné qu’il est de tous les plans. On voit un homme très ambitieux, plutôt sympathique, totalement dénué de convictions politiques et qui s’avère fragile sur le plan affectif. Rien de bien surprenant si ce n’est la capacité assez effarante du comédien à incarner une personne qui ne lui ressemble pas. Le port de tête, la crispation du buste, le son de la voix, la façon roublarde et enfantine de s’exprimer, tout est savamment incarné par Denis Podalydès.
Ce sont les comédiens qui font de la Conquête un film regardable, pas la mise en scène très télévisuelle de Xavier Durringer. Le réalisateur a découpé son film en autant de saynètes théâtralisées, plates et sans profondeur de champ, qui mettent en valeur les comédiens et les dialogues de son scénariste, Patrick Rothman. Mais l’ensemble est bien mou et dénué de tension dramatique, comme incapable de mettre en scène et de traduire énergiquement cette « conquête » d’un pays, analogue à celle d’une maîtresse. Et de quoi parle la Conquête si ce n’est de la conquête politique de la France. Or, loin de ce pays dont on parle beaucoup, qu’on sonde en permanence, tout semble se jouer dans les couloirs de l’Elysée, Beauvau ou de l’UMP, à coups de petites phrases, de scandales et de luttes de personnes. Non seulement on voit peu la France et les Français mais on ne sent pas une seconde l’intensité physique, l’irrationalité et la frénésie médiatique qui rythment une campagne électorale. Le film ne cherche même pas à représenter le pays qui s’est donné à Sarkozy, comme si celui-ci pouvait se résumer à un panel d’ouvriers ou de téléspectateurs invités à une mise en scène télévisuelle. A l’image de cette scène où l’aspirant Président récite de dos son discours devant une salle vide, le film met en scène un homme politique sans cité, sans citoyens, sans peuple. En résumant la conquête du pouvoir au portrait d’une « bête » politique, il délivre un message presque apolitique, en tout cas dans l’air du temps : si Sarkozy a gagné les élections présidentielles, c’est qu’il était simplement un très bon comédien.
Trouvant ce film hélas bien français dans ses défauts, c’est-à-dire incapable de sortir des éternels registres du théâtre de guignol et du vaudeville, je ne peux que recommander la vision du passionnant The Candidate de Michael Richie (Votez McKay – 1972) avec Robert Redford, voir de l’honnête Primary colors de Mike Nichols (1998), avec Travolta en ersatz de Bill Clinton, films qui démontrent que pour bien parler de la vie politique en pays démocratique, il faut au minimum en prendre au sérieux les enjeux.