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Xala: l'impuissance des puissants selon Sembene

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Comment filmer de manière simple une situation complexe ? Dans les premières minutes de Xala il s'agit de décrire la transition opérée par le Sénégal entre colonie et post-colonie et le passage entre deux dominations, celle des blancs et celle d'une classe possédante inféodée. Un groupe d'hommes ordinaires, boubous et bonnets sur la tête, marchent sur la Chambre de Commerce de Dakar, interrompent la réunion des hommes d'affaire français et les raccompagnent vers la sortie. Le portrait d'un président noir est accroché dans la salle de réunion. Mais le coup de force tout en fanfare est contredit dans les scènes suivantes. Nos nouveaux hommes d'affaires, costumés et parlant un français maniéré, se voient proposés par les Français qu'ils ont chassés des valises de billets qu'ils d'acceptent avec gourmandise. On reverra ces ex-colonisateurs tout au long du film, énigmatiques « Dupont-Durand » dont la présence ne lassera pas de faire rire. Le message est limpide : l'indépendance du Sénégal a été confisquée par une classe de possédants corrompus. On pourrait trouver le propos et les situations caricaturales, ils me paraissent au contraire traduire en un langage cinématographique simple, pour un public populaire, les sentiments des contemporains d'Ousmane Sembene sur l'indépendance de leur pays.

Parmi les possédants, El Hadji Abdou Kader Beye a prospéré dans l'import-export. Sa réussite économique est scellée par un mariage avec une troisième femme. Au soir de sa noce, il ne peut malheureusement consommer son union. Il se croit touché par le xala, terme wolof désignant à la fois l'état d'impuissance sexuelle et le sort d'impuissance jeté contre une personne. Simple panne ou maraboutage imaginé par une de ses épouses ? El Hadji en appelle aux marabouts pour guérir son mal. Il n'hésite pas à parcourir la brousse et à payer cher ceux qui prétendent le guérir. Paradoxe d'un homme qui ne se sent africain que dans l'exercice de la polygamie et qui, privé soudain de sa virilité, en appelle aux traditions d'une culture, la sienne, qu'il méprise. Entretemps, le jour de ses noces, savoureux moment de satire du film, on l'aura vu étaler sa réussite au milieu de semblables qui littéralement « jouent » aux blancs. « J'étais en Suisse mais j'en suis parti, je ne pouvais pas faire un pas sans croiser des nègres » badine un des convives noirs de la noce. Par ailleurs, on notera comment, tout au long du film, la langue française alimente la séparation sociale. Aux puissants le français aux pauvres ou aux militants (la fille d'El Hadji) le wolof. « Comment vas-tu ma fille » demande El Hadji « Diamarec » répond sa fille (traduction : j'ai la paix). « Mais pourquoi me réponds-tu toujours en wolof quand je te parle ?! » éclate le père.

Revenons au fameux « xala ». Le sujet est documenté sur le web et relève de croyances anciennes encore prégnantes. Le xala est un sort d'impuissance qu'on jette à quelqu'un, pour empêcher qu'il pratique l'adultère, mette en cloque une parente ou par simple malveillance. En dépit de la modernité, on craint encore le xala au Sénégal, notamment à l'approche des mariages. Dans le film, l'impuissance agit comme sort, punition et métaphore. Sort parce que le maraboutage est effectivement prouvé. Punition : celle d'un notable corrompu/d'un africain dans ce qu'il a de plus précieux (culturellement parlant) : sa virilité. Métaphore enfin de l'impuissance de ces « puissants », incapables de sortir leur pays du sous-développement. Car si un petit nombre de privilégiés amasse et jouit, le reste du peuple, représenté par un paysan et par des mendiants (« déchets humains » dit El Hadji), stagne dans la misère. C'est dans la représentation du petit peuple que Sembene trouve matière à équilibrer son film entre satire et émotion. Sur fond de musique traditionnelle (« diamono, diamono », « la vie, la vie » se plaint le griot) se déploie la solidarité des humbles et des infirmes.

Au terme de ses pérégrinations maraboutiques, El Hadji aura perdu sa fortune, sa place, ses femmes et aura subi la vengeance des faibles. Je n'en dirai pas plus sur le dénouement mis à part le sentiment d'amertume que dégage le film et ma frustration vis-à-vis des personnages. Sembene a développé un théâtre de Guignol à la sauce sénégalaise, où seules les femmes ont un semblant d'épaisseur. La justesse naturaliste du film se trouve par moments annihilée par un excès de didactisme et surtout par l'absence de développements psychologiques des personnages. El Hadji Abdou Kader Beye n'est qu'un pantin dont la disgrâce ne révèle pas grand-chose d'autre que sa médiocrité. Ses copains affairistes ne valent pas mieux. Le théâtre des petites combines, parfois démonstratif, montre alors ses limites. Sembene prouvera ultérieurement qu'il est capable de mieux développer ses personnages et ce sont les films où ils sont les plus fouillés qui sont de mon point de vue les plus réussis (je pense à Moolaadé et à Guelwaar).

Malgré ses imperfections, Xala est un film passionnant. Quinze ans après l'indépendance du Sénégal, il offrait au public de son pays une satire corrosive de ses classes dirigeantes et un pendant africain au chef d'œuvre de Buñuel, le Charme discret de la bourgeoisie (1972).

NB : l'œuvre d'Ousmane Sembene est disponible en versions DVD, à la vente, à la Médiathèque des 3 mondes (http://www.cine3mondes.com/).

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