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le film d’auteur français : beautés et limites…

Cet été plus encore que les précédents , il a été décidé que le spectateur devait ingurgiter du blockbuster. Pacific Rim, Lone ranger, Wolverine et tant d’autres, voilà ce qui encombrait les salles de cinéma entre le 14 juillet et le 15 août. Autant dire rien d’intéressant pour qui voudrait faire fonctionner son cerveau. Alors je suis allé bravement à la chasse au film d’auteur, me disant qu’en été, on a le temps de lire des bons livres et aussi de regarder des films insolites. Des films qui laissent une trace, qui résonnent, qui hantent, qui happent. Des films sans les grosses ficelles et les conventions du cinéma commercial à l’américaine. Frances Ha, L’inconnu du lac et Michael Kohlhaas sont les rares moments étiquetés « film d’auteur » que j’ai pu m’offrir en cet été 2013.

A voir ces films et pensant à d’autres comme ceux d’Arnaud Desplechins, de Mia Hansen-Love ou d’Olivier Assayas, je me rends compte que fuyant des schémas usés et infantiles, je tombe sur d’autres schémas, guère plus originaux quand il s’agit de cinéma d’auteur français – je mets de côté Frances Ha, œuvrette américaine transie d’amour pour Woody Allen et pour la Nouvelle Vague. Ma pratique de spectateur exigeant et snob me fait constamment rencontrer des œuvres radicales, difficiles, qui au final sont assez conformistes dans leur approche du cinéma. Sociologiquement parlant, je suis dans la cible de ces films, rameuté au cinéma par la presse dite culturelle, et je sais à quoi m’attendre. Qu’est-ce que je retrouve immanquablement dans le cinéma d’auteur français d’aujourd’hui ? Des choses nobles d’abord: un travail sur la matière, le paysage, la lumière (Kohlhaas, L’inconnu du lac), l’envie de réalisateurs de retrouver la pureté et la simplicité de grands récits mythiques, une démarche réflexive typique d’auteurs qui posent et se posent des questions.

Le cinéma d’auteur français s’essaie à penser, bellement souvent. Mais je retrouve aussi des choix artistiques tellement à rebrousse-poil du cinéma commercial qu’ils en sont pénibles : goût du minimalisme narratif, anti-héroïsation forcenée, récit et montage hachés, dispersion des fils narratifs, indétermination systématique des personnages et de l’intrigue, primat de la diction mâchée et de l’absence de jeu d’acteur. Un sentiment d’inabouti et de flottement pèse sur ces films, qui sont de beaux work in progress frustrants. Est-ce dû à l’économie de ce cinéma, à des budgets qui ne permettent pas toutes les folies ? Est-ce dû au profil des réalisateurs, nourris de Nouvelle Vague et de Nouveau Roman ? Je n’ai pas les outils pour l’analyser, juste quelques intuitions. Comme spectateur ma sensibilité me porte vers ces films-là et je ne les dénigre pas. L’inconnu du lac d’Alain Guiraudie est un beau huis-clos sensuel autour d’un lac fréquenté clandestinement par des homosexuels. Je pardonne aisément à ce film, le meilleur de cet été, la légèreté de son intrigue policière. Je regrette simplement l’absence dans le paysage « auteur » de grands récits classiques aboutis qui soient aussi de grands films esthétiques et audacieux. Je regrette que ce cinéma ait tant de honte et de réticence à me raconter une histoire qui tienne de bout en bout. L’équivalent de Mud (Jeff Nichols) est-il possible dans le cinéma d’auteur français ? Resterait-ce du cinéma d’auteur ? Est-ce vraiment important ?

Michel Kohlhaas d’Arnaud des Pallières, tourné dans les paysages de la Drôme et des Cévennes est un film tout de pierre et de bois, secoué par les vents. On croirait le très beau Mads Mikkelsen taillé dans la roche ou dans un grand arbre sec. Hélas, émondé des éléments romanesques qui constituent la trame du roman de Kleist, le film flotte complètement dans sa dernière heure, les fils du récit limés jusqu’à devenir de minces cordelettes qui peinent à guider le spectateur d’une scène à l’autre. Constatant l’intrusion brusque d’un Luther (Denis Lavant) venu épaissir la réflexion éthique du film, je me disais que faciliter la compréhension du spectateur que je suis n’aurait pas été me prendre pour un idiot, bien au contraire. Je me disais aussi que ce type de cinéma est tellement tenu par son formalisme qu’il est rarement surprenant. Abondance d’ellipses et d’embardées narratives ne signifient pas nécessairement que le film est audacieux. De même, l’irrésolution me paraît une facilité trop fréquente : dit-on quelque chose en ne disant rien du tout ? Contaminer, pervertir, vicier le récit classique, qui fait ça aujourd’hui ? Je pense à Kechiche dans l’Esquive, quelques autres. Le cinéma français est frustrant : d’un côté des films exigeants mais inaboutis, de l’autre des drames conventionnels et des grosses comédies de nouveaux riches, au milieu quelques films agréables et petit bourgeois comme ceux de François Ozon. Perdu au milieu de tout ça, j’attends La vie d’Adèle.

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